Noé
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Noé

Film de Darren Aronofsky (2014)

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Noé, c’est d’abord un péplum. Une grande fresque qui rejoint d’abord le genre par la musique : un style pompeux qui rappelle le début des 10 commandements (Cecil B. DeMille, 1955) ou Ben Hur (William Wyler, 1959). En avançant dans le film, on persiste à se rattacher au genre. Les personnages sont typiques, à commencer par Noé qu’on aurait bien vu joué il y a 50 ans par Charton Heston. La force physique tout d’abord, mais aussi l’image forte du patriarche qui, pour accomplir son devoir s’interdit tout doute en publique (jusqu’à se retrouver incompris des siens), mais qui, une fois seul, dévoile un vrai dialogue intérieur, et une foi rappelant celle d’Abraham prêt à sacrifier son fils. Ensuite, il y a Cham. L’élément perturbateur, celui qui fait que, parce que le milieu du héros Noé est dérangé, on en découvrira plus sur lui. Cham est le second fils de Noé, et le réalisateur ne manque pas son rendez-vous avec le défi de dresser un portrait équilibré de ce personnage complexe, à tel point que s’en est un pilier du film. Tout y est : jalousie, tourment dans le passage à l’acte mauvais, complexe du petit frère… Mais sans voir pointer le grotesque de l’archétype, parce que Cham est au fond, et parce qu’il tenté, le personnage le plus fort après Noé. Bref, on est à dix-mille lieux d’un cinéma filmant la vie de tous les jours, où les héros sont méchants, et où rien ne sert de s’acharner à faire le bien puisqu’après tout, on a perdu, il faut se résigner et vivre avec le mal. Et puis si tu n’es pas content, devient alcoolique dans un polard ou les hommes ont tous des voix des fumeurs. (Je croix comprendre la faible note des critiques français).
Pour finir le portrait du péplum, on félicitera les tours de force graphiques accomplis par l’équipe pour nous plonger, avant déluge, dans un monde en phase terminale, sans ressource, pillé et aride, qui sent le soufre jusqu’à travers l’écran.

Autre point important, et c’est la fin des arguments envers le péplum ; l’importance des symboles. On ne peut penser les avoirs tous repérés, mais leur avantage c’est qu’ils donnent toute la liberté d’interprétation au spectateur. Parmi eux, la nature d’avant déluge. On y sent un passé d’Éden, on y voit presque les vestiges d’un monde luxuriant ou Dieu pourvoit. Mais la destruction de ce paradis est finalement due à la corruption de l’homme, qui, refusant de croire que Dieu pourvoira et impatient d’amasser, se retrouve, à l’aube du récit, la queue entre les jambes dans un désert sans ressource. Un détail en particulier m’a beaucoup plu : le fait que les étoiles soient visibles de jour. Comme si elles étaient en lente extinction. Autre point intéressant : l’invention d’un métal précieux traqué par les hommes et dont j’ai oublié le nom, mais qui est très lumineux, rare, jaune et qui sert allumer le feu. Bref un mix entre or et soufre symbolisant peut-être l’avidité et la destruction… Que chacun réfléchisse, c’est le mot d’ordre de ce film.

Mais ce n’est pas tout, et heureusement. Noé, c’est aussi un film qui propose des situations terribles, et des sacrifices durant lesquels chacun y laisse de sa personne pour évoluer, devenir plus Homme : pour ceux qui connaissent, on entre dans la spécialité de Darren Aronofsky (Requiem for a dream, Black Swan) avec des scènes morbides comme celle où depuis l’intérieur de l’Arche, on entend la foule crier à la noyade. Plus psychologiquement, prenons pour exemple le personnage d’Emma Watson (qui par ailleurs livre une prestation exceptionnelle) qui, un coup confronté à son infécondité, désir laisser sa place dans l’arche (seule voie de survie) au profit d’une autre femme, puis, guérie et enceinte, doit affronter un beau-père (qui l’a élevée) prêt à tuer sa descendance tant il a perdu espoir en l’humanité et veut l’éradiquer pour sauver la création. Emma Watson nous montre une belle nature de femme, sensible et aimante, qui enseigne l’amour à l’homme et qui consent au sacrifice. À tel point que l’on a envie de croire que Dieu n’a pas créé la femme comme part de la nature humaine, mais qu’elle est d’une nature supérieure, un semi-ange déconnecté des questionnements de l’homme (symbolisé par Noé), et qui le guide dans son libre arbitre en lui offrant toujours une ineffable troisième option qu’il s’était toujours interdit de voir, dans la cécité de son « devoir ».

Cette idée de femme-ange se poursuit à travers le personnage Naameh (femme de Noé) au rôle très effacé, mais dont l’esprit plane tellement dans l’arche qu’il finit par conditionner chacun des évènements. Mais ce concept trouve sa plénitude peu avant le dénouement (ce qui lui donne un air de morale), quand Ila (Emma Watson) vient chercher le vieux Noé (alors ermite exilé) qui avait finalement renoncé à l’infanticide tant il était ébloui par la beauté des bébés. Lorsque celui-ci lui explique qu’il a honte d’avoir failli à sa mission de sauver les bêtes de la création en faisant attention à ce que l’homme ne survive pas, elle lui dit tout simplement (mais en d’autres termes) : « Tu n’as pas failli. Si Dieu t’a choisi, ce n’est pas parce que tu étais près à tout pour lui, c’est parce qu’il savait qu’il pouvait te laisser le choix, parce qu’il laisse toujours le choix à l’homme, et qu’il était bon que tu puisses choisir entre le devoir et l’amour ».
Une ouverture se profile alors pour les chrétiens, dans ce film aux caractéristiques très juives (l’importance des symboles, la mise en lumière de Sem qui est le seul à avoir une descendance, etc.) : Noé a choisi l’amour (la liberté, la possibilité de chute, etc.), et Dieu fit avec en envoyant le Christ…

Avant de conclure, il faut reconnaître que le film pêche, en fait, sur les fondamentaux comme la mise en scène et sur un classique du blockbuster : les effets visuels. Certes, les paysages et les créatures sont magnifiques, mais les Veilleurs (se renseigner sur Samyaza), beurk, laissent à désirer. On peut comprendre l’aspect « enfermé dans la pierre » (en effet, les anges venus aider les hommes se sont retrouvés englués dans une condition matérielle et sont représentés en ce que j’appellerai des statues de pierre lépreuses), mais pourquoi les faire si laids ? Une faute de gout aussi visible dans le flash-back de la Chute où Adam et Ève dont des créatures nébuleuses jaunâtres… Qui ira, verra. Pour ce qui est de la mise en scène, les cadrages sur les personnages semblent parfois hasardeux, les plans d’ensemble sont toujours entravés, et les mouvements de caméra, n’en parlons pas : ils ne sont pas vraiment fluides.

Bref, Darren Aronofsky nous sert un beau film, ambitieux, mais humain, troublant, mais inspirant… mais côté grand spectacle, on est loin de Georges Lucas ou Peter Jackson.

Créée

le 6 déc. 2014

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