Quand le drame psychologique devient un thriller social

Après une carrière de scénariste Hollywoodien (il a co-écrit "Jason Bourne, l'Héritage" avec son frère, ainsi que quelques œuvres de science fiction), Dan Gilroy réalise son premier film : Nightcrawler (Night Calle en France). Le résultat est plutôt bon. Dans une ambiance nocturne et froide très proche de Drive (Nicolas Winding Refn) un vidéaste ambitieux filme les faits divers les plus sanglants pour les revendre à prix d'or aux chaines d'information. Malgré un jeu d'acteur peu engageant, le film est captivant grâce à une mise en scène sobre et captivante, et un scénario rythmé et équilibré.

A l'instar de l'intrigue, le jeu de Jake Gyllenhaal suit une progression constante au long du film pour nous faire comprendre que ce que l'on pensait être un défaut est en fait une réussite. Ce qui a l'air d'être une erreur de jeu ou de dialogue est en fait le comportement décalé et effrayent d'un sociopathe ! Et alors que les deux premiers actes nous faisait craindre une critique mielleuse et convenue de l'ambition personnelle qu'incarne Lou Bloom -- on a même cru voir une histoire naitre d'amour ratée d'avance entre Lou et Nina-- le troisième acte donne au film une identité originale et forte. En deuxième lecture de ce thriller se trouve une critique de la société et du cinéma lui-même.

Certes le film nous parle de journalisme, mais il insiste surtout sur la participation du publique au grand marché de gladiateur qu'est devenu la télévision. Nous retenons surtout la séquence qui enchaine, sur un fond sonneur de publicité, un plan large sur Los Angeles, un plan sur des antennes, puis une antenne d'immeuble, puis des câbles et enfin un poste de télévision. Cette scène, avec l'usage de nombreux inserts de câbles, insiste sur l'importance de l'immédiateté, et des liens de communications qui deviennent plus important pour nous que l'information qu'ils transmettent. Plusieurs fois les journaliste le précisent: ce qui comte ce n'est pas l'histoire, c'est le fait de la vivre à la télévision, et d'en faire un spectacle. (Le spectateur francophone profitera de l'usage répété du mot "graphic" pour mieux comprendre le lien entre la violence et l'esthétique). La présence, entre autre, d'une course poursuite poignante aux cascades extra-ordinaires renforce cette impression.

Tout explose dans cette fin de film, et le cinéma semble n'être alors qu'une copie de lui-même... jusqu'à le devenir pleinement lorsque la caméra de Dan Gilroy vient cadrer autour de l'écran de visée de son personnage dans la scène du fast-food ! Et nous comprenons alors deux choses ! Premièrement, ce que film le journaliste correspond très bien à ce que nous attendrions d'un film. Deuxièmement pourquoi sommes nous choquer d'imaginer le journaliste vendre cette image, alors que nous achetons le droit d'en voir la version du réalisateur ? Réalisateur et journaliste ne forment plus qu'un dans ce film, et la thématique du miroir développée par la mise en scène scelle cette alliance. Combien de fois la caméra de Lou apparait-elle en gros plan ? Le reflet de Lou dans le miroir n'est-il pas le notre, et de ce fait celui de Dan ? Combien de fois le journaliste prend-il la place du réalisateur pour nous raconter l'histoire ? Mais leurs chemins se séparent quand vient la question de la légitimité. Car au font, le réalisateur, filmant la fiction avec le gout du réalisme est crédible, et apte à nous parler de notre réalité ; à l'inverse du journaliste qui sera prêt à modifier ou mettre en scène la réalité pour lui faire rejoindre nos fantasmes (nos rêves, nos cauchemars, nos peurs, nos clichés...) Cette analyse rejoint celle de la filmographie de David Fincher, dont la cruauté de l'oeuvre est un défi lancé à notre propre cruauté ! Il sortit d'ailleurs cette année "Gone Girl" qui traitait aussi la question du journalisme... et confia en interview, alors que le journaliste lui demandait de s'adresser directement au publique : "Je pense que les gens sont des pervers !".

Bref, malgré quelques défauts principalement dus aux acteurs secondaires, Night Call est un bon film à méditer certes, mais avant toute autre chose, à savourer.
Thibaut_Picard_Deste
8

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Créée

le 6 déc. 2014

Critique lue 333 fois

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