Noé
5
Noé

Film de Darren Aronofsky (2014)

Voir le film

Si Jésus a eu l’occasion de voir ce film du fin fond de sa tombe, il a dû tellement se retourner dedans qu’il s’est étranglé avec son suaire.


Pour tout vous dire, les autres spectateurs et moi-même avons passé la première heure du film à nous fendre la poire sur la vision très singulière de la Bible de Darren Aronofsky. En effet, sans avoir une connaissance approfondie du livre saint – elle serait plutôt même très sommaire –, nous avons émis quelques doutes quant à la qualité de l’adaptation de l’ouvrage. Bon, il se trouve que le film est davantage tiré d’une BD réalisée en partie par M. Aronofsky que de l’œuvre originale. Le contraste est peut-être moindre mais il n’en reste pas moins que le conte simpliste du gars qui reçoit un appel divin pour lui demander de sauver tous les animaux avant qu’il se mette à flotter des piscines, en prend un méchant coup derrière la nuque.


Le premier souci de ce film se situe dans la période à laquelle l’histoire est censée se dérouler. Impossible de réellement déterminer à quelle époque elle se passe. Si les Hommes sont vêtus généralement avec des vêtements plutôt bien ouvragés (on est loin de la couture grossière, ça ressemble plus au travail d’un métier à tisser), certains apparaissent avec des tenues qui n’ont pas lieu d’être contemporaines (je pense aux armures notamment, mais aussi aux blousons en cuir que deux-trois Hommes arborent). De la même manière, Noé a beau sortir tout droit de l’Antiquité, là où les autres déboulent plutôt du Moyen-Age, la technologie qu’ils emploient est issue directement des Temps Modernes (les pipelines, les fours, les cheminées en métal, le couteau à lame crantée en acier de Noé, les chaînes des Veilleurs, etc.). Et à côté de tout ce petit monde, il y a des créatures étranges qui paraissent avoir surgies de la Préhistoire ou d’un monde parallèle que notre bonne vieille Terre n’a jamais connu. Ce qui nous donne un joyeux fouillis qui en fera sourciller plus d’un.


Ceci étant, s’il n’y avait que ça, il n’y aurait pas forcément de quoi crier au scandale. Sauf que, vous vous en doutez, il n’y a pas que ça. Darren Aronofsky a également eu quelques soucis de cohérence entre le paysage dans lequel les personnages évoluent et ce qu’ils sont capables de faire. Il faut savoir que, lorsque le film commence, Noé et son petit monde vivent dans un désert de sable noir avec deux-trois souches calcinées jaillissant du sol. Plus loin, la troupe s’égaye même sur un champ de lave durcie où rien ne pousse. Et pourtant, ils dorment dans des huttes faites de bois clair, parviennent à faire des remèdes à base de plantes, adorent les baies rouges de buisson qui n’existent pas et boivent du café extrait de cabosses invisibles.


Et puis, tant qu’on y est à parler d’incohérences, si Noé est vraiment végétarien, comme on peut le comprendre au vu des quelques indices laissés à droite et à gauche, qu’est-ce qu’il fait avec un piège à loup ? Comment sa femme peut-elle savoir, à la vue d’une simple balafre, que la fillette blessée ne pourra pas enfanter ? Idem, comment sait-elle qu’elle est finalement enceinte par la suite ? Pourquoi l’encens qu’ils répandent parmi les animaux pour les endormir ne les endort pas eux ? Comment les anges déchus – qui sont quand même de gros golems de pierre – peuvent-ils marcher sur des échafaudages aussi fins sans passer au travers ? Comment se fait-il qu’il y ait plus de deux dauphins hors de l’arche, avant que celle-ci n’accoste, si Noé devait sauver tous les animaux (et seulement par deux) ?


D’ailleurs, les animaux arrivent bien gentiment en rang serré et en duo pour l’embarquement, mais comment s’est passée la sélection ? Ils ont tiré à la courte-paille ? Ils se sont tous mis sur la tronche jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que deux ? Ils se sont tous sacrifiés pour les deux plus beaux de la bande ? Parce que du coup, ça facilite grandement les choses. Pas besoin de trier, les animaux le font eux-mêmes. Les seules bestioles qui ne sont pas capables de se décider finalement, ce sont les Hommes.


Eux arrivent en vrac, crasseux, pouilleux, les dents déchaussées (mais solides puisque le grand méchant arrache la tête d’un iguane avec ses incisives), les ongles noirs et un besoin irrépressible de tout détruire sur leur passage. Oui, l’humanité est dépeinte sous son meilleur jour, vous l’aurez deviné. Ici, les Hommes sont des brutes épaisses qui ne pensent qu’à leur trogne et à leur estomac puisqu’ils sont prêts à troquer leurs mômes et leurs femmes pour une pauvre biche qui se fait littéralement écartelée vivante. A croire qu’il n’y avait véritablement qu’une paire de chaque animal sur Terre à cette époque.


Vous allez me dire : et Noé, alors ? Eh bien, Noé et sa petite troupe sont végétariens. Le patriarche a même une certaine addiction aux champignons hallucinogènes vu les visions qu’il se paie. Faut dire que le grand-père fait une fixette sur les baies rouges (et puis, une belle : en plein tsunami, il va continuer à farfouiller entre la mousse et les feuilles mortes) donc c’est un peu de famille. M’enfin, n’allez pas imaginer pour autant que les ancêtres de Brigitte Bardot étaient des saints.


En fait, la famille Delajungle est assez bancale – à l’image du film, en somme. D’un côté, nous avons donc Noé, le chef de famille qui entend des voix et qui rêve de mouflons qui font du dos crawlé. Un type intransigeant qui fait des sermons à tour de bras dès lors qu’un de ses marmots a le malheur de mettre un pied à côté du chemin tracé par Dieu. Untel cueille une pâquerette, bidule s’inquiète de sa descendance, machine est en cloque jusqu’aux yeux… même combat. Et sa femme aura beau lui sortir le discours le plus émouvant qui soit, monsieur reste sourd comme un pot et poursuit sa mission divine, même si elle consiste à égorger ses petits-enfants. Un mec bercé un peu trop près du mur donc, maniaque, qui noie son désespoir dans l’alcool dès lors qu’il n’a pas su obéir à ses voix intérieures. Le top.


Ensuite, il y a son épouse, voyante à ses heures perdues, shaman aussi, qui n’a pas d’autre rôle dans le film que tirer les larmes du spectateur avec son regard humide. Parce que, soyons francs, ses belles paroles n’ont aucun impact sur les actions de son mari. Elle aurait pu tout aussi bien s’adresser à un mur de brique que le résultat aurait été le même. Ensuite, il y a le fils aîné : le beau gosse de service avec ses cheveux bien shampooinés, qui se rebelle un petit peu contre son paternel lorsque celui-ci décide de trancher les carotides de ses mômes. Mais comme Noé est super fort – il est guidé par Dieu, n’oublions pas – Apollon se fait retourner comme une crêpe et puis basta. On poursuit avec le second fils, qui aimerait bien se mettre quelque chose sous la dent et qui finalement ne ramasse que des ennuis. Traître, mais pas trop, il a failli faire capoter toute l’histoire (mais failli seulement parce que mission divine oblige). Et le dernier qui… bah, qui ne sert à rien. Il n’a pas une ligne de dialogue de tout le film. C’est une plante verte avec des cheveux.


Un peu à part, il y a l’autre fille de la bande, pièce rapportée de la famille, qui n’a qu’un seul but dans la vie : pondre des moutards. Tout ce qu’elle dit ne tourne autour que de ce seul et unique sujet. Le reste, elle s’en balance comme de sa première crotte de nez.


Bref, globalement : il y a Noé et puis les autres. L’arche et puis les à-côtés. Le déluge en lui-même occupe très peu de pellicule et à aucun moment l’un des protagonistes n’émet l’idée que le patriarche yoyotte sérieusement de la crinière. Il y a bien son antagoniste qui soulève l’hypothèse que Dieu a créé les Hommes pour qu’ils écrasent tout sur leur passage, mais il ne réfute pas la théorie d’Adam et Eve (qui ont dû vivre aux environs de Tchernobyl vu la façon dont ils brillent), de la pomme et du serpent. On parle encore moins de la consanguinité conséquente au principe de ne conserver qu’un seul couple de chaque espèce.


Il faut dire qu’il y avait peu de chance que le réalisateur produise quelque chose qui tient la route vu les effets psychédéliques qu’il offre aux spectateurs. Parfois, j’ai eu l’impression de revoir ces images délirantes que l’on peut voir dans l’Ours, lorsque le héros poilu s’empiffre d’Amanites Tue-Mouche. C’est vert fluo, bleu flashy et rose fuchsia. Ca avance en saccade. Ca se trémousse comme un vieux Tauntaun sur Hoth (qui porte très mal son nom). L’automne est encore loin mais ce film sent bon les champignons. Et pas le bolet de nos campagnes, non ! Le bon champignon déconseillé par tous les pharmaciens soucieux de la santé mentale de ses clients.


Et cette critique est suffisamment longue comme ça donc je vais m’arrêter là si vous le permettez (et même si vous ne le permettez pas).

NicodemusLily
4
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Ces films où la moquette était de qualité, Y'a un sorcier dans ma botte et Zyeutés en 2015

Créée

le 21 mai 2015

Critique lue 320 fois

1 j'aime

1 commentaire

NicodemusLily

Écrit par

Critique lue 320 fois

1
1

D'autres avis sur Noé

Noé
Sergent_Pepper
4

Les arcanes du blockbuster, chapitre 9.

Jour de pluie. Même les fruits en plastique de la corbeille sur la table semblent maussades, et la pomme se colore d’un rouge étrange dans la clarté grise de cette fin de matinée. - …et donc les...

le 27 juil. 2014

117 j'aime

12

Noé
guyness
5

Darren-drops keeps falling on my head*

Poussé par une passion vieille comme Mathusalem (à l’échelle de ma vie) pour Jennifer Connelly et un intérêt pour Aronofsky, j’entrainais dans mon sillage une mauvaise troupe de sudiste prête à...

le 13 avr. 2014

80 j'aime

52

Noé
EIA
6

4,5,6 ? Flou mystique

Au sortir du cinéma, s'il est une chose évidente, c'est que Noé ne laisse pas indifférent. La salle, comble, se déverse sur le trottoir sous les rires moqueurs et les oh! admiratifs, on donne son...

Par

le 13 avr. 2014

80 j'aime

48

Du même critique

Le Miroir d'ambre
NicodemusLily
4

Mondial moquette chez les parallélépipèdes rectangles

Enfin ! J’ai enfin fini de lire la trilogie de Philip Pullman : A la Croisée des Mondes. Ca n’a pas été de tout repos. En effet, passée la déception du tome 2 qui glissait de manière flagrante vers...

le 14 mars 2015

14 j'aime

9

New York, Unité Spéciale
NicodemusLily
7

Ma deuxième partie de soirée fétiche

New York : Unité Spéciale, c'est une série que j'ai découvert un peu par hasard. Toujours diffusés en deuxième partie de soirée compte tenu des sujets traités, toujours diffusés dans le désordre le...

le 15 avr. 2014

13 j'aime

5

La Reine des Neiges
NicodemusLily
1

Mince, c'est Noël ! Il faut faire un film !

La Reine des Neiges, mon dernier grand traumatisme Disney. J'avais espéré - au vue de la bande-annonce - être à nouveau transportée dans le monde féérique de la souris parlante... mais c'est un...

le 22 mars 2014

11 j'aime

9