Nomadland questionne de manière poétique et mélancolique notre rapport à la société, qu’elle soit matérielle (lieu, domicile, travail) ou sociale (amis, famille, communauté…). Porté par une musique envoutante, l’histoire se déroule sur un peu plus d’un an et pourtant on a l’impression d’être toujours dans l’instant, d’être au plus près du temps réel. C’est notamment grâce à la performance de Frances McDormand et des vrais nomades qui l’accompagne mais aussi à cette sensibilité aux petites choses du quotidien, qu’il soit difficile ou réconfortant. Son personnage pragmatique, indépendant et revêche évite le pathos et on se laisse porter par sa quête sans s’embourber dans le mélo.
Quand j’avais vu la bande-annonce, j’imaginais le film plus critique du système face à des gens qui ont tout perdu. Mais ce n’est pas le propos. Chloé Zhao met en lumière des personnes à la marge, souvent en deuil d’une vie et d’une personne. Ce refus de « construire » quelque chose n’est pas perçu comme négatif et leur vie n’est pas représentée de manière misérable. La réalisatrice laisse sa caméra virevolter autour de ses personnages comme les braises d’un feu de camp, dans une danse aussi bien désabusée que lyrique, dans un équilibre toujours précaire entre émerveillement et désillusion, entre solitude et communauté.
Mais c’est là aussi la limite du film. En se concentrant sur le personnage de Fern, qui a choisi le nomadisme suite à la perte de son mari, son travail et sa ville, Chloé Zhao brosse un portait bien trop embelli de la vie de ces marginaux. La majorité d’entre eux, au passage de vraies personnes, ont été rejetés et abandonnés par le système — qui en plus continue à profiter d’eux, main d’œuvre à bas coûts corvéable à merci et sans velléité de sécurité de l’emploi. On perçoit bien en creux leurs galères, leurs astuces de survie, leurs bons plans pour gagner de quoi tenir l’hiver. En voulant rester optimiste et poétique, la réalisatrice occulte une vie indigente et vulnérable.
Nomadland est donc un beau film, une expérience sensorielle et mélancolique douce, où Fern transfigure son deuil en liberté. Mais c’est un film en demi-teinte, qui se concentre sur la partie émergée baignant dans un crépuscule rose et orange d’un iceberg sociétal.