Pour son second long-métrage, Pialat filme le couple comme il a filmé l'enfance, sans fard ni complaisance. Alors que le cinéma nous avait habitués à des amours déçus empreint de romanesque, à de grandes passions qui se consument sur un flot de regret, lui, au contraire, adopte un jusqu'au boutisme pour le moins terrifiant : l'amour se meurt comme un soldat sur le champ de bataille, avec la rage au ventre et un filet de sang au bord des lèvres. On s'aime avant de se haïr, on se fait tendre avant de se violenter, on se réconcilie avant de s'entre-déchirer une nouvelle fois, peut-être une dernière fois. On l'a bien compris à la lecture du titre, l'espoir n'a pas sa place ici, c'est à l'agonie d'un amour que nous sommes conviés. Comme dans L'Enfance nue, la promesse du bonheur fait peur et lorsque celui-ci commence à prendre ses aises, c'est pour aussitôt devenir tragique, brûlant dans leur chair ceux qui l'auraient approché de trop près.

Il ne s'en cache pas, avec ce film, Pialat se raconte et met beaucoup de lui dans le personnage de Jean. Mais au-delà de l'aspect autobiographique, ce qui frappe avec Nous ne vieillirons pas ensemble, c'est sa structure presque classique, sa linéarité et sa dramaturgie assumées, l'originalité résidant dans la manière d'aborder le sujet. Pialat filme le drame de ces couples qui se meurt et qui ne savent comment se dire adieux, il observe les derniers soubresauts de la passion avant de scruter l'homme et ses faiblesses.

Sa façon qu'il a de s'immiscer dans le quotidien de ce couple et de sonder la nature humaine dans ce qu'elle a de plus médiocre, éveille en nous des réactions vives et parfois violentes, nous faisant constamment osciller entre intense fascination et profond dégoût. Ce drame, désespérément banal, comporte quelques longueurs et, surtout, possède un caractère répétitif qui est parfois éreintant. Mais si on a l'habitude d'être mis à mal par le cinéma de Pialat, le plus difficile demeure notre rencontre avec le personnage principal, le fameux Jean. Ce dernier a tout de l'individu éminemment détestable, bourru, irascible et violent. S'il n'a rien pour attirer notre sympathie, il parvient néanmoins à nous troubler en se comportant tantôt comme un tyrannique phallocrate tantôt comme un amoureux maladroit. Troublant, insaisissable, sachant être poignant tout en étant déplorable, il appartient à cette race de personnage qui marque profondément notre esprit. Avec lui, Nous ne vieillirons pas ensemble jongle avec les contraires et mélanges les émotions fortes, unissant intimement douceur et rage, amour et haine.

Malgré ses quelques faiblesses, rendons hommage à la mise en scène de Pialat, sobre, efficace et toujours juste. Jean et Catherine s'aiment et se quittent sans cesse, jusqu'à la déraison, jusqu'à l'absurde. Mais si leur relation semble redondante, leur posture évolue finement au fil du temps. À coup d'ample plan-séquence, Pialat filme le despotisme de l'homme sur cette femme, souffrante silencieuse : lui, apparaît comme un être abject, rejetant violemment et froidement l'amour inconditionnel qu'elle lui porte. Si l'amour est mis à mal par lui, il subsiste grâce à elle. La séquence de la voiture est très révélatrice de l'état de leur couple, la violence de l'homme écrase tout, mais les sentiments persistent à vivre dans le regard de la femme. Le couple ensuite bat de l'aile et se désagrège lentement : les trajets en voiture se multiplient, tout comme les lieux de passage (hôtel, plage), l'amour s’essouffle inexorablement. Le retournement de situation se fait progressivement et l'homme tente désespérément de retenir celle qui lui file entre les doigts. Le plan-séquence laisse la place au contre-champ qui impose sa réalité : la femme toise cet homme si lâche, la rupture du couple est actée.

Moins abouti que La Maman et la Putain sur un thème similaire, Nous ne vieillirons pas ensemble demeure un film mémorable porté admirablement par le couple Jean Yanne / Marlène Jobert et qui tire sa force de la démarche pleine de sincérité de Pialat. Sans apitoiement ni romanesque, il filme la solitude de l'homme et la déliquescence des sentiments dans un drame qui a toujours la puissante saveur du quotidien.

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le 5 sept. 2023

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Procol Harum

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