Nuit félines à Shinjuku (1972) - 牝猫たちの夜 / 62min
Réalisateur : Noboru Tanaka - 田中登
Acteurs principaux : Tomoko Katsura ; Hidemi Hara ; Ken Yoshizawa
Mots-clefs : Japon ; Roman-Porno ;


Le pitch :
Masako est une prostituée qui travaille dans des bains du quartier de Shinjuku. Son quotidien est rythmé par ses sorties entre amies et son travail. La jeune femme entame une relation avec son voisin Makoto. Le jeune bisexuel s'est entiché d'une jeune femme, qu'il tente par tous les moyens de conquérir. Le trio s'embarque alors dans une relation dangereuse et sensuelle.


Première impression :
Décidément Noboru Tanaka est un réalisateur qui me subjugue et plus je vois ses films, plus je me désole de voir que son nom est inconnu même chez les amateurs de cinéma japonais. Il y a une raison à ça, Tanaka est un réalisateur de Roman-Porno, c'est à dire de films érotiques produits et réalisés dans les années 70 par le plus grand studio de cinéma japonais : la Nikkatsu. À l'époque, le studio est en crise et les cinémas ne se remplissent plus leurs salles. Il faut trouver une alternative aux films de yakuza et on se lance alors dans le film érotique. Pour les tourner, on pioche dans les assistants réalisateurs maison. Tanaka est de ceux-là et il a déjà travaillé avec des maîtres comme Akira Kurosawa, Seijun Suzuki ou encore Shohei Imamura sur "le pornographe". Un destin tout tracé. Tanaka, je vous en ai déjà parlé pour "Watcher in the Attic" et surtout pour "La véritable histoire d'Abe Sada" qui traite bien mieux le même fait divers que "L'empire des sens" d'Oshima. Ce soir, j'ai eu la chance de voir "Nuit félines à Shinjuku", son deuxième roman-porno, et c'est un sacré bon film.


Alors bien entendu, quand on lit "porno", on imagine immédiatement du Gonzo amateur façon Youporn et on doute un peu de la pertinence d'une quelconque analyse. Il ne faut pas se tromper car le roman-porno n'est pas un quelconque érotique mâtiné d'une trame narrative basique, mais son exact opposé, c'est-à-dire un film avec un scénario construit, des personnages forts, des acteurs talentueux, parfois un propos de fond, et qui en plus intègre des scènes érotiques - une façon comme une autre de faire revenir le public dans les salles. Bref, on parle ici de cinéma professionnel et pour ce film, de cinéma de maître. C'est à dire que Tanaka est sacré metteur en scène, un type qui fait des compositions magnifiques aux couleurs éclatantes. Dit autrement, le gars sait filmer et il sait particulièrement bien mettre en valeur ses décors, acteurs et actrices qu'il encadre souvent de portes, fenêtres, colonnes ou d'objets posés là pour censurer les parties intimes. Surtout, c'est un cinéaste qui a des idées de mises en scènes qui rendent ses films tantôt réalistes, tantôt oniriques. Honnêtement, "Nuit félines à Shinjuku" m'a scotché plusieurs par sa poésie et sa puissance métaphorique. J'y ai même vu l'évocation inversée de Cendrillon. Et puis, ce qui étonne particulièrement, c'est la capacité de Tanaka à insérer naturellement l'érotisme à son récit sans que l'obligation de scènes de sexe ne vienne suspendre le cours de la narration.


Contrairement à "Watcher in the Attic" ou "Abe Sada", "Nuit félines à Shinjuku" n'est pas un film à costume, mais un film plus urbain qui nous plonge au coeur du quartier rouge qui jouxte celui des affaires de Shinjuku. Pratiquant parfois le cinéma guérilla pour imprimer l'ambiance des avenues et ruelles de Tokyo, Tanaka se concentre une fois de plus sur des personnages féminins et plus précisément sur une prostituée de bains turcs dont il montre le quotidien, désir et émotions, coincée dans une relation triangulaire avec un bisexuel taciturne et son jeune amant homosexuel efféminé qui cherche lui à s'attirer les faveurs d'une fille de bonne famille comme pour réfréner sa propre identité. Tendresse entre homme, démoralisation du désir sans surenchère, réalisme de la condition de prostituée sans misérabilisme, liberté sexuelle, le film multiplie les thématiques aussi bien qu'il les dépeint pour rendre une copie qui pourrait s'insérer parfaitement dans l'histoire de la nouvelle vague du cinéma japonais entre un Kiju Yoshida (Eros + Massacre) et un Shohei Imamura (L'anguille). Dans le fond, le récit lui-même a quelque chose de très banal et pourrait inspirer une bonne comédie-romantique, mais le quotidien de ce Shinjuku là donne une coloration toute particulière aux personnages entre illusions perdues et soif de vivre.


Pour conclure, "**Nuit félines à Shinjuku" est peut-être le film de Tanaka que j'ai préféré jusqu'à présent puisqu'il mêle les fabuleuses qualités de mises en scènes du réalisateur à une sorte de réalisme que les films à costume ne permettaient pas. Moins fantastique que Watcher in the Attic, moins confiné que la véritable histoire d'Abe Sada, beaucoup moins dérangeant que Bondage (tout en étant subversif), ce deuxième film de Tanaka est une perle que j'invite chacun à découvrir, surtout si vous n'avez jamais fait l'expérience de Roman-Porno. Le film est édité en DVD et Blue Ray en France par Elephant Film qui sort un super coffret sur les Roman-Porno et les Roman-Porno reboot, et mon petit doigt me dit que je vais vous parler d'autres films du coffret d'ici très peu de temps.**

GwenaelGermain
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le 5 déc. 2019

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