Meilleur film de Brian De Palma, fruit de sa collaboration avec le scénariste et futur réalisateur Paul Schrader, Obsession est un hommage à Hitchcock, mais surtout un film qui le dépasse totalement. De Palma n’est pas ce genre d’auteurs contemplant les reliques. Il créée ses propres joyaux et c’est par la modernité et la liberté que ses maîtres n’avaient pas qu’il touche la grâce.

Si Obsession s’inspire de Sueurs Froides par son scénario (voir de Rebecca), l’emprunte qu’il dessine est comparable à nulle autre. Une référence inattendue s’érige, notamment pour la balade exécutée dans Florence (comme 25 ans plus tard dans Hannibal), celle d’Argento, celui du Syndrome de Stendhal ou de Inferno. Lors des visites de l’église San Miniato al Monte, de la maison familiale aux États-Unis ou même des bureaux où travaille Michael, les lieux prennent vie. Ce sont les vrais cadres de l’action de Obsession, où le temps et l’espace semblent flexibles et indistincts, alors que la vraisemblance est respectée.

Cette caractéristique renvoie aux propriétés de Obsession et indiquent pourquoi il touche au sublime. La photographie si particulière est signée Vilmos Zsigmond, qui a œuvré pour le Nouvel Hollywood dans les 70s (L’Épouvantail, La Porte du Paradis, Délivrance). Il a crée une texture originale, contrariant subtilement la netteté à l’aide de filtres. Ajoutée à une narration distordue et romantique, aux mouvements de caméra de Brian De Palma et à la musique de Bernard Herrman, cela donne un résultat fabuleux et une séance pareille à un rêve.

Cette avant-dernière composition de Herrmann (avant Taxi Driver puis sa mort) est capitale. Obsession comporte une des bande-son les plus magistrales de l’histoire du cinéma, mélancolique, édifiante et recueillie, rappelant un peu Debussy. Ensuite, assez rare chez De Palma, nous trouvons des personnages puissants.

Bien sûr, le cinéaste tend à éluder une certaine profondeur comme à son habitude, mais c’est en s’appliquant à suggérer tous les tourments intérieurs et même à expliciter les ambiguïtés fondamentales écrasant ces individus. Il y a dans leur condition un fatalisme merveilleux qui demandait à naître déjà dans Pulsions et Blow Out et exulte ici. Les présences de Cliff Robertson et Geneviève Bujold sont lisses et précises, absorbant toute la complexité de leurs personnages sans le moindre effet spécial.

Brian de Palma est un formaliste génial et le charme principal de ses films, c’est d’être des jeux pour le spectateur, assuré que le spectacle délivrera de multiples facettes et mutera des repères clés. Obsession est un tel enchantement qu’on en oublie le scénario et même les évidences tendues en toutes transparences. Le dénouement vient nous signaler la manipulation consentie et, au lieu de nous abandonner sur cette note malicieuse, nous étreint de son lyrisme.

Les ressorts de ce cinéma sont radicaux mais amenés avec une telle subtilité qu’il devient un voyage. Cela ne prend pas toujours, comme avec Mission to Mars ou Furie. Ici on est ensorcelés car il n’y a jamais un moment de doute et chaque nouveau plan, chaque nouvelle minute, vient ajouter un écho à la précédente, donnant une illusion de spectacle parfait, solide et consistant derrière sa vitrine alléchante. Un grand tour de magie, souvent considéré comme un opus "sobre" de De Palma, alors que sa vraie qualité est de tutoyer la perfection. Sans connaître l’excès, juste en créant l’intensité absolue.

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le 22 juin 2014

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Zogarok

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