Avec ce simple geste d’ouvrir son film sur l’Italie des années 1930 et de le refermer sur celle des années 1960, Pasolini insuffle une dialectique nouvelle au mythe d’Œdipe. Pris dans son intégralité c’est un film que j’apprécie. Ce n’est cependant pas de ce dernier dont je veux parler ici, ou en tout cas, pas dans sa totalité.


Aussi muet que le cinéma puisse l’être, un groupe de femme joue et danse dans la campagne italienne. Sur un drap, on pose un bébé. Pendant qu’il crie, on court au fond du champ. Après un temps on le récupère, on le porte, on l’emmène marcher à l’ombre des arbres. Une intimité en contreplongée, juste trop proche de la peau, l’enfant tète le sein de sa mère. Pas tout à fait impudique, pas tout à fait provocateur. Face au voyeurisme de l’écran, la mère regarde son enfant. Lentement, relève son visage et de ses yeux atteint l’intérieur de la salle de cinéma. Elle nous attrape. Pris par le piège de la pulsion scopique nous n’avions pas conscience d’être là. Depuis le début nous regardions de loin, de derrière la caméra, en dehors d’elle. Maintenant nous ne remarquons que notre présence. Cette réalisation nous abasourdit. Tétanisé jusqu’aux larmes, on n’ose plus bouger sans permission. La beauté de cet instant nous saisit. Simple comme une intimité volée entre une mère et son enfant. Hors de notre réalité, car appartenant totalement à celle de l’écran. Il brave l’interdit du regard. Désintègre l’espace si chaleureux qu’il existe entre nous et le film. Pasolini nous parle avec le langage le plus pur du cinéma. Le film sait qu’on le regarde, il ne nous lâche plus. Il nous punit pour ça, d’avoir pu contempler, pendant un instant, le plus beau plan du monde. Peut-être que sans nous la jalousie de son père n’aurait pas existé. Tel l’arbre qui tombe dans une forêt sans témoin, Œdipe aurait, sans notre désir, eu une vie bien plus paisible.


Ce regard on le retrouve plus tard. Il vient clore l’histoire de son héros comme celui de sa mère a commencé la sienne. Faisant écho à l’interprétation Pasolinienne du mythe comme une boucle. Chaque chose meurt là où elle a commencé. Il n’a plus la même signification. Il nous apostrophe. Aveugle il sait que nous sommes-là. Nous qui étions avides de voir sa tragédie se dérouler, sommes-nous satisfaits. Toute histoire est une boucle, toutes les choses vivent et meurent au même endroit. Avec Œdipe Roi commence la quête du plus beau plan du monde. Une quête qui ne pourra se terminer que là où elle a commencé. Avec un simple geste d’ouvrir un film sur l’Italie des années 1930.

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le 12 sept. 2022

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