Qui est le film ?
En un peu moins de 75 minutes, les Belges Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys signent un film d’une grande sécheresse, où la fiction se dissout dans un dispositif : un huis clos judiciaire, une mère, un père, deux enfants, des mots. Rien d’autre. C’est un cinéma sans refuge, qui n’offre ni recul ni consolation. Tout se joue dans l’économie du face-à-face, dans le heurt des paroles, dans la manière dont la justice immisce le doute. En surface, il s’agit d’une audience pour la garde des enfants. En profondeur, d’un examen de ce que signifie “croire”. Croire la parole d’une mère, celle des enfants, croire au récit de l’autre, croire en la neutralité d’une institution.
Que cherche-t-il à dire ?
Au-delà du "procès" qu’il met en scène, On vous croit interroge la fabrique même de la vérité. Devillers et Dufeys ne cherchent pas à départager le coupable de l’innocent, mais à exposer les mécanismes par lesquels la société décide de croire ou non une parole. C’est un film sur l’autorité du langage, sur la violence de la procédure, sur la manière dont une mère doit non seulement dire la souffrance, mais la prouver. La tension principale réside là : entre ce que le langage et la justice prétendent saisir et ce qu’ils trahissent toujours.
Par quels moyens ?
L’austérité du film (cadrages fixes, lumière crue, rythme lent) est une épreuve. En refusant tout effet de dramatisation, Devillers et Dufeys forcent le spectateur de rester, d’endurer. Ce dispositif nous place dans la position d’un juge sans pouvoir, condamné à écouter sans jamais conclure. Cette épure formelle, qui emprunte au réel ses inflexions les plus arides, s’apparente à une expérience d’observation éthique.
Ici, tout passe par la bouche, les gestes et les expressions. La violence du film n’est pas celle des coups, mais celle des mots. Chaque phrase est une arme, chaque pause un soupir accusé. Myriem Akheddiou, bouleversante de retenue, transforme chaque mot en poids physique. Le film rappelle que la parole judiciaire n’est jamais neutre : elle est genrée, hiérarchisée, politisée. Dans On vous croit, la caméra capte ces micro-fissures où la peur, la colère, la honte passent dans le timbre de la voix et c’est là que naît la vérité du film, dans ces moments où la rhétorique craque.
Les enfants, au centre du conflit, apparaissent que très peu. Leurs voix manquent, et ce manque n’est pas une ellipse. Devillers et Dufeys rappellent ainsi que les victimes mineures ne parlent jamais sans médiation, qu’on les cite, les traduit, les interprète. Le titre du film "On vous croit" peut résonner dès lors comme un mensonge. On veut croire, on prétend croire, mais tout dans le dispositif montre combien la croyance est conditionnée, contrôlée, orientée.
On pourrait craindre que cette rigueur tourne à la froideur. C’est tout le contraire. Le film tient son émotion dans la durée, dans la résistance des visages à la fatigue, dans la manière dont la caméra observe sans sauver. Les réalisateurs filment le visage d’Akheddiou comme un champ de bataille intérieur : le tremblement du menton, la crispation du visage, la retenue des larmes deviennent les véritables mouvements du récit. Un réalisme brûlant, sans esthétisation, mais jamais sans tendresse.
Le plus bouleversant est sans doute là : On vous croit ne juge pas les personnages, mais les mots eux-mêmes. Tout le dispositif révèle combien la justice repose sur une foi dans le langage. Chaque réplique met à nu la distance entre le mot et ce qu’il prétend contenir, entre la parole judiciaire (rationnelle, codifiée) et la parole intime (affective, chaotique). Ce décalage, mis à nu, produit une violence sourde : celle d’un monde où la sincérité ne garantit rien, où la souffrance doit être démontrée pour être crue.
Pourtant, le film aurait pu, peut-être, pousser encore un curseur, ouvrir un peu plus la brèche de la complexité humaine qu’il met si bien en place. Cette réserve n’annule rien, mais elle empêche On vous croit d’atteindre pleinement la déchirure qu’il frôle.
Où me situer ?
Ce qui rend On vous croit si fort, c’est sa maîtrise du minimalisme. Rien n’est de trop. Leur cinéma prend le réel au sérieux, refuse le confort du pathos, cherche la vérité dans le doute. Ce faisant, ils produisent un cinéma rare : un cinéma qui ne parle pas du réel, mais qui agit comme lui. Mais c’est aussi un film dont on sent qu’il aurait pu aller plus loin, déranger davantage encore.
Quelle lecture en tirer ?
En tout cela, On vous croit prolonge une tradition du cinéma belge : celle qui regarde le réel sans le plier, sans le commenter, mais en le laissant nous regarder en retour. Sa puissance tient dans ce paradoxe : plus il dépouille son dispositif, plus il révèle la densité. À l’heure où le cinéma se méfie du réel, Devillers et Dufeys en retrouvent la brûlure.