La Riviera Gaza
Les frères Nasser ouvrent leur film avec la déjà célèbre dernière connerie prononcée par l'homme orange le plus puissant de cette planète pensant pouvoir faire de Gaza la Riviera du Moyen-Orient. Et...
le 27 juin 2025
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Incroyable.
Ce pays est en morceaux et pourtant c'est de là dont nous vient le film le plus solide et le plus vivifiant que j'ai pour le moment vu cette année.
Alors qu'en Occident il semble de plus en plus difficile de faire un film complexe, subtil et riche d'une personnalité singulière, ce Once Upon A Time in Gaza vient mettre tout le monde à l'amende, et sur le sujet qui, en cet été 2025, est l'un des plus inflammables qui soit.
Car oui, il est bien rendu difficile, dans le contexte d'aujourd'hui, de faire un film à Gaza qui ne soit pas un film sur Gaza. L'intro ne manque d'ailleurs pas de mettre directement les pieds dans le plat : discours de Trump sur fond de rotatives hurlantes, puis des bombardements en 4K comme si on y était. On ne peut pas être plus dedans que ça.
Et pourtant, comme s'il ne s'agissait là que d'un fond de scène parmi d'autres, le film embraye tout de suite sur son intrigue propre, à base de petits larcins, de voyous à gueule et de falafels.
Et alors qu'en arrière-plan, tout s'écroule, le cinéma des frères Nasser détonne de par son incroyable – pour ne pas dire son insolente – sûreté.
Ce film pue le cinéma par tous les pores. Chaque plan est pensé et léché. Jamais de surenchère mais toujours un goût d'esthète. On veut rendre honneur aux gueules. On veut faire respirer les lieux. Donner à sentir les quartiers, jusqu'à nous donner à entendre ce gaz qui – bien que si rare dans la bande – chauffe avec intensité un thé au risque de faire sauter tout un quartier.
Mais qu'est-ce que c'est revigorant cette putain d'arrogance qu'il y a à continuer à mener sa vie et ses affaires avec rigueur et avec classe au milieu de tout ce chaos.
C'est une leçon. Une leçon d'autant plus efficace qu'elle n'oublie pas pour autant de nous faire sentir qu'à l'image de ce thé qu'on chauffe avec abus, tout ce film pue d'un souffre qui ne demande qu'à s'embraser...
Et la grande intelligence de ce film tient vraiment à ça : à ne jamais surjouer et à toujours définir un cadre qui permet d'intégrer le chaos du dehors à la trivialité du quotidien. Et tout ça se joue finalement toujours au même niveau : celui d'une forme qui cherche en permanence le ton adéquat.
Or, je les trouve vraiment insolents de maîtrise à ce niveau-là les frères Nasser. À l'image de leur dégaine totalement over the top, leur film jongle entre les codes pour réussir à lui donner cette texture au bout du compte très équilibrée.
Parfois western urbain avec ses petites notes léoniennes (qu'on retourne jusque dans le titre), parfois polar à mi-chemin entre un vieux Verneuil et un récent Tarik Saleh, et puis surtout il y a aussi parfois ce registre qu'on n'aurait jamais imaginé pour parler de Gaza – un truc que seuls deux types ayant décidé de se renommer eux-mêmes Arab et Tarzan (!) pouvaient avoir le culot de mobiliser ! – j'entends parler de la farce.
Oui, vous avez bien lu : la farce.
Car il y a aussi clairement de ça dans ce Once Upon A Time In Gaza. En cela, le titre pourrait d'ailleurs autant se référer à la filmo de Leone qu'à celle de Tarantino. Parce que même si le film des frères Nasser est certes bien loin de s'inscrire pas dans une démarche emphatique propre au cinéma du fantasque Quentin, on retrouve néanmoins cet usage du « film dans le film » qui permet de traiter un sujet tout en le désamorçant.
Cet aspect-là – pour le moins inattendu – est à la fois la force et la faiblesse du film. Force pour la distance que ça permet d'apporter, mais faiblesse du fait qu'il s'impose un peu tard dans l'intrigue. Bien que judicieusement annoncé en début de film – permettant d'afficher la couleur d'emblée – il surgit malheureusement à contre-temps, rompant une dynamique jusqu'alors remarquablement menée. Et même si le scénario saura rapidement raccorder les fils afin de redonner de la cohérence au tissu narratif, il n'empêche qu'il a participé à casser un élan pourtant bien lancé, et que le film peinera à retrouver pleinement, du fait de sa durée très condensée.
Malgré tout, encore et toujours, c'est par l'habilité et l'ingéniosité de leur mise-en-scène et de leur écriture que les frères Nasser parviennent à rééquilibrer leur barque et à donner tout le sens qu'ils ont voulu donner à leur film.
Et pour moi, cette habilité pourrait presque se résumer en deux scènes.
La première tient en un flash back d'à peine une minute.
Un flash-back qui – outre le fait qu'il soit remarquablement amené dans la trame – a le mérite de remettre le personnage d'Osama sur le devant de la scène tout en soulignant l'idée que la vie de Yahia s'est finalement résumée à n'être que le jouet de rencontres hasardeuses. Et voilà comment, d'un coup de cuillère à pot, on parvient à nous faire accepter encore davantage son recrutement improbable dans un film de propagande.
Et la seconde scène-clef, c'est tout simplement la scène finale, tant celle-ci souligne jusqu'à son terme le caractère farcesque et paradoxalement d'autant plus tragique de ce film.
Car en rajoutant un énième défilé de martyrs à la toute fin – tout en connaissant l'absurdité des circonstances de la mort de ce dernier – on en vient mécaniquement à questionner la nature des autres défilés auxquels on a assisté depuis le début du film.
Et pourtant, malgré cette pantalonnade finale, ce serait bien se tromper que de dire que les frères Nasser se soient détournés de ce qui ne peut être que leur sujet.
Car oui, comme dit plus haut, faire un film à Gaza, de nos jours, en 2025, c'est forcément faire un film sur Gaza. Et même si, à première vue, le sujet de ce Once Upon A Time tient en des petits règlements de compte et autres coups du sort qui se retrouvent amalgamés à tort avec la guerre, il n'empêche qu'au bout du compte, on se rendra compte que cette guerre, en fait, on ne parle que d'elle.
Et c'est justement toute la force du cinéma que d'être capable d'en parler comme ça. Au lieu de faire de l'informatif, de l'émotionnel et du sermon, les frères Nasser ont préféré raconter une histoire, une vraie.
Alors oui, je sais, raconter des histoires, c'est quelque chose qu'on sait de moins en moins faire dans nos contrées qu'on dit pourtant civilisées. Poser des personnages qui ne soient pas que des archétypes et des situations qui ne soient pas que des plaidoyers, ça se faire rare chez nous, et c'est bien dommage, parce que ça nous prive de ce que ce Once Upon A Time In Gaza nous livre. Il nous livre des personnages qui ont une gueule, des quartiers qui prennent vie et des situations qui se teintent de complexité.
« Faire ce film, c'est faire un acte de résistance » dit à un moment donné, dans ce long-métrage, un responsable du Hamas. Et c'est tout ce qu'est ce Once Upon A Time effectivement. Parce qu'un personnage de bad ass comme Osama, c'est juste la plus belle déclaration de vie qu'on puisse produire quand on est gazaoui.
Le gars est l'incarnation même du petit brigand charismatique et ce n'est pas une guerre qui va l'arrêter. Tout ça détonne derrière lui comme si de rien n'était. Quand un défilé du Hamas passe à sa porte, c'est pour mieux servir ses falafels. Et quand un flic le serre, ça ne va pas m'empêcher de jouer son rôle de malfrat qui ne se couche pas, qu'importe le contexte.
Et puis quand les infos se multiplient pour rappeler l'horreur et la prison à ciel ouvert qu'est devenu Gaza, lui zappe jusqu'à tomber sur des pépées qui se trémoussent sur de la pop électro de night club. Parce qu'il est comme ça Osama, quand Trump parle de son côté de ses rêves de Riviera, Osama lui aussi entend prendre sa part de rêve en dansant un falafel à la main, devant un vieux papier-peint représentant les cocotiers cannois.
Cette scène, pour moi, c'est juste LA scène du film. C'est celle qui résume à la fois la maestria formelle du film – qui dit beaucoup mais sans trop en faire pour autant – mais qui incarne aussi au mieux toute l'arrogance de cette résistance à jouer son rôle social malgré la guerre, quand bien même ce rôle est-il celui du malfrat de quartier qui cherche à profiter de n'importe quelle situation pour gratter quelques shekels de plus.
Et bah moi, ce genre de résistance, elle me parle. Ce n'est certes pas elle qui mettra fin à cette guerre et qui protégera les civils des bombes. Il n'empêche qu'il y a dans ce film-là un acte qui va bien au-delà du conflit israélo-palestinien. Cet acte, c'est une putain de pulsion de vie qui consiste à rappeler qu'une société survit aussi dans son incroyable insolence à s'efforcer de continuer à vivre quand pourtant les raisons de mourir – même les plus absurdes – ne cessent de se multiplier.
En tout cas, les frères Nasser ont fait leur part, en ce qui les concerne. En tant que cinéaste, ils ont décidé de ne pas transiger sur leur manière de faire du cinéma. Ce n'est pas parce que c'est la guerre qu'on doit faire, à l'image de ce film dans le film que Once Upon A Time moque à l'envie, du pauvre cinéma de guerre, c'est-à-dire un cinéma bêtement propagandiste, univoque, premier degré et sans talent.
Pour le coup, je trouve que c'est là une bien belle leçon que beaucoup, chez nous, seraient fort bien avisés de suivre. Car c'est ce n'est clairement pas en l'abêtissant qu'on permet à une société de survivre.
Créée
le 12 juil. 2025
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