Les grands artistes sont des impuissants.

Ce n'est pas moi qui le dit, mais Salvador Dali. Car le nouveau film de Winding Refn, copieusement hué à Cannes (ce qui explique peut-être pourquoi le réalisateur est reparti bredouille) est bien un film sur l'impuissance et la frustration, le scénario de base ne servant finalement que de toile de fond.

D'ailleurs, cette thématique est traitée de manière directe et de façon explicite. Ce qui en fait un film dérangeant, voir intriguant et peut être même frustrant.
Dans tous les cas, Winding Refn aura réussi sa mission première, j'en suis convaincu, celle de ne pas laisser le spectateur indifférent, que cela soit de manière positive ou négative.

Oui, car ceux et celles qui pensaient voir un "Drive" version 2, n'auront pas été déçu du voyage... J'en ai fait les frais personnellement, grâce au monsieur assis à côté de moi et qui a passé toute la projection à souffler et à tapoter son genoux avec ses doigts. Très agaçant, je dois l'avouer...

Le réalisateur est bel et bien revenu à son style propre, qui a marqué et légitimé sa filmographie d'antan, nous faisant comprendre que "Drive" n'était qu'une parenthèse artistique liée à une commande "mainstream". Oui, mais une commande qu'il a su totalement magnifier et styliser. C'est à ça qu'on reconnaît les auteurs confirmés.

Bref, avec "Only God Forgives", on est plus près de "Valhalla Rising" que de "Drive". C'est à dire un film contemplatif, avare en paroles et avec une violence exacerbée. Mais à y regarder de plus près, c'était déjà les principaux points soulevés par les détracteurs de "Drive", donc...

Tout cela pour dire que "Only God Forgives" est bel et bien un film cohérent dans la filmographie de son réalisateur, même s'il est loin d'être le meilleur.
Mais on retrouve cependant sa parfaite maîtrise esthétique, à l'aide de plans calibrés et sublimés par des jeux de lumières et de couleurs, entre teintes rougeâtres et bleutées. Une esthétique qui participe pleinement à l'ambiance du film, en décrivant un univers nocturne, violent et limite malsain.
On retrouve également un rythme lent, consolidé par la quasi-absence de dialogue et par quelques ralentis ponctuels. Toutefois, le film reste toujours en mouvement, nous entraînant dans une certaine dynamique, dont il faut toutefois s'accrocher.

Une des principales critiques faites à Winding Refn est d'être un peu "nombriliste", c'est à dire de valoriser son propre travail tout en négligeant celui de ses acteurs. C'est un point de vue respectable, car il est vrai qu'on retrouve un casting éteint, Gosling en tête, à l’exception de Kristin Scott Thomas, surprenante dans le rôle de cette mère puissante. A vrai dire, c'est le personnage qui s'exprime le plus dans le film, donc forcément elle ressort du lot...

Mais si on décale notre angle de lecture, on peut expliquer le fait que ce style singulier sert la véritable thématique du film : l'impuissance. Oui, car la véritable force du long-métrage, hormis son esthétique maîtrisée, ne réside pas dans le récit contextuel, soit un mère baronne de la drogue qui veut venger la mort de son fils à l'aide de son deuxième fiston. Non, je dirais plutôt que l'essence même de ce maigre récit réside, en réalité, à travers la description féroce de Julian, alias Ryan Gosling, c'est à dire un pauvre type, qui se donne des airs de caïd, mais qui n'est finalement qu'un frustré, un impuissant, un faible, un castré à cause d'une mère écrasante. Ce qui en fait, dans le fond, un être perdu.

Plusieurs scènes clés viennent illustrer mon propos. [Spoils]
Tout d'abord cette focalisation sur les mains du personnage, qui est une symbolique physique de son impuissance. On les voit se contracter lorsque qu'il est assis et attaché sur une chaise, pendant que sa "copine" se fait jouir devant lui, ce qui montre sa faiblesse sexuelle. D'autre part, ses deux mains sont la description explicite de son univers d'évolution, la boxe thaïlandaise. Sauf que lors de son unique duel à main nue (une des scènes les plus réussites du film), Julian se fera littéralement exploser la tronche.
Une autre scène marquante : la scène du repas avec la copine et la mère de Julian. Une scène où le personnage se fait littéralement humilier en public, par une mère haineuse et limite incestueuse. Des lors, c'est peut être la scène où Gosling exprime le plus de "sentiments", car lorsque la caméra se braque sur lui, on ressent tout le mal-être du gars, grâce au visage singulier de l'acteur.
Et finalement, la seule scène où on verra Julian réagir, sera la suivante, lorsqu'il demande à sa copine de lui rendre la robe qui lui a acheté pour ce fameux repas. Une réaction pathétique en somme, mais qui traduit bien l'immense faiblesse de ce personnage central. [Fin spoils]

A croire que la production aurait dû conserver l'affiche en noir et blanc illustrant la tête difforme de Gosling, comme affiche promotionnelle du film, car celle-ci témoigne bien du réel intérêt de ce long-métrage.
Winding Refn semble avoir pris un malin plaisir à mettre en scène le parcours chaotique de ce personnage, ce qui, au final, peut justifié le choix de Gosling dans le rôle (car c'est une sorte de "pied de nez" bien pensé).

Au final, Julian ne vengera personne, même quand il en aura l'occasion, car dicté par une pseudo' morale éthique. Dès lors tout se détruira autour de lui, progressivement, jusqu'à un final brutal et terriblement frustrant. Oui mais, n'est-ce pas la thématique du film ?
Théo-C
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le 27 mai 2013

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Théo-C

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