Only God Forgives est une expérience visuelle et sonore tout à fait particulière. À mon sens, ce n’est pas un chef-d’œuvre : je ne suis en effet pas resté scotché sur ma place de cinéma en fin de séance, ébouriffé par le génie maléfique de Nicolas Winding Refn. Néanmoins, ce film a quelque chose de plus que les autres.

Ne connaissant de Refn que le très célèbre Drive (que j’avais sans doute apprécié en-deçà de sa juste valeur, et que je devrai revisionner prochainement, soit dit en passant), je m’attendais, au vu de la bande-annonce d’Only God Forgives, à un spectacle relativement semblable en termes d’esthétique, de réflexions, d’actions. En vérité, mon impression a confirmé mon préjugé.

Only God Forgives est un prodige d’esthétisme. S’il me fallait une confirmation du talent de Refn pour créer une ambiance à ses réalisations, et la doter de couleurs, de musiques, de silences, de lumières, de tons qui frôlent la perfection, la voici ! C’est une qualité que j’apprécie de plus en plus, et qui fonde l’art du cinéma, à mon sens. D’où légitime satisfaction en découvrant l’œuvre.
Le sang est omniprésent dans ce Bangkok fantasmé par Refn et fonde une atmosphère rouge, terriblement rouge, d’un rouge teinté d’obscurité. Mon esprit est encore trop obtus pour saisir toutes les symboliques qui me semblent être contenues dans chaque scène du film, mais je subodore quelque chose d’assez intense. Toute cette esthétique fait indubitablement écho à la violence de ce film, dont on éprouve qu’elle est fatale, nécessaire, incontestable. Le premier crime institue un cercle vicieux, et chaque assassin se tache les mains du sang de ses victimes (ou de ses bourreaux), inexorablement. Seul le justicier (Vithaya Pansringarm) semble ne jamais devoir répondre de ses violences. La police détient le monopole de la violence légitime, en quelque sorte. Et triomphe toujours.
Le Mal est partout dans Only God Forgives. Le Mal ne pardonne pas au Mal. Seul Dieu le peut, et le fait, mais Il n’est pas ici-bas. Le Mal, ici-bas, appelle la Vengeance, c’est-à-dire le Mal. Tout le mal que commettent les humains se fait en quasi-silence, comme s’il allait tellement de soi qu’il ne serve à rien d’ajouter du bruit à cette violence évidente. Tout le film est pénétré de ce profond silence, non pas morbide, noir, sombre, mais rouge, rouge de chair, de chair imperturbablement lacérée.
J’ai évoqué plus haut le justicier thaïlandais comme premier personnage marquant du film, en ce qu’il semble au-dessus des autres par son invincibilité apparente. Je citerais aussi le paradoxe que constitue Julian (Ryan Gosling). La violence est présente chez Julian, indubitablement, car il n’échappe pas à ce monde. Il en est imprégné, dans son sang, dans ses mains, dans son cœur. Mais il semble le seul à essayer (réussite ou échec ? à chacun de se faire une opinion) de briser le cercle vicieux. Il éprouve des doutes, des sentiments, qui l’empêchent d’être le vengeur froid, voué à être finalement assassiné par le justicier. Julian a la figure déchirée de la rédemption tardive. On sent qu’il essaye… mais on sent qu’il est trop tard, aussi. Et on sentirait presque qu’il le sait, et qu’il le veut.

Voilà donc dans ces quelques mots l’impression que m’a laissée Only God Forgives. Un propos et une esthétique qui semblent révéler un grand talent. Cependant, je n’adhère pas foncièrement. C’est là une question de goût, je pense. Si la violence ne m’est pas ici aussi franchement désagréable que dans un Tarantino par exemple, je ne peux pas dire que le spectacle me plaise véritablement dans cet aspect. Le scénario, de plus, me semble un peu vide. Disons que toute la place est laissée à l’esthétique. J’aime bien, mais j’ai encore du mal avec le pur esthétisme. Cela viendra. Enfin, les dialogues tiennent sur une feuille recto-verso et les répliques ne sont pas renversantes. Là encore, je pense que cela participe de l’esthétique brutale de l’ensemble mais c’est un aspect qui me déplaît un peu.

Une expérience particulière donc : hyperesthétisante et gore. Ce film est cruel.
Volpardeo
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Esthétiquement sublimes, Les meilleurs films de 2013 et Les plus belles claques esthétiques

Créée

le 23 mai 2013

Critique lue 1.1K fois

3 j'aime

Volpardeo

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

3

D'autres avis sur Only God Forgives

Only God Forgives
real_folk_blues
8

Thaî, glande, et Ryan erre.

Only God Forgives n’est pas un bon film. N’allez pas croire que vous verrez Drive, pauvres naïfs. N’allez pas espérer que Fight Club se soit payé un lifting, pauvres consommateurs. Ne supputez point...

le 3 juin 2013

149 j'aime

32

Only God Forgives
Anyo
8

Le langage du silence

Le cinéma est un art Visuel et Auditif. Notre cher réalisateur Danois acquiesce et nous livre une oeuvre à la facture audio-visuelle irréprochable. "Only God Forgives" rejoint "Samsara" et "The...

Par

le 24 mai 2013

140 j'aime

11

Only God Forgives
Gand-Alf
6

... Et l'enfer le suivait.

Pour avoir une idée de mon expression dépitée à la sortie de ma séance de "Only god forgives", je vous invite à vous poster devant un miroir et de vous observez en train de diviser 1356, 876543 par...

le 24 mai 2013

138 j'aime

13

Du même critique

Candide ou l'Optimisme
Volpardeo
5

Critique de Candide ou l'Optimisme par Volpardeo

Je restais sur une bonne impression de "Candide" avant ma relecture récente. Autant dire que j'ai été vraiment déçu. Je dois être vraiment inconsciemment réfractaire à Voltaire pour ne pas arriver à...

le 12 juin 2011

21 j'aime

Alcools
Volpardeo
3

Moderne... pour le meilleur et (surtout ?) pour le pire...

Epris de poésie depuis de nombreuses années, je souhaitais parfaire ma culture en m'intéressant vraiment à Apollinaire, poète emblématique du début de la modernité artistique (du symbolisme tardif...

le 6 déc. 2011

20 j'aime