Rêveur, follement romantique, Only lovers left alive pallie un certain vide scénaristique par une direction artistique soignée et des personnages d’une élégance prodigieuse.

Jim Jarmusch, qui n’en est pas à sa première visite au Festival de Cannes, fait l’éloge de l’érudition et des arts dans ce film dont les vampires âgés de plusieurs siècles ne sont qu’un prétexte à traiter de nombreuses couches temporelles et de cette science universelle accumulée au cours des siècles. Une éloge de la créativité musicale, littéraire ou théâtrale, dont la diffusion est un enjeu si crucial que ses auteurs, contraints à l’anonymat du fait de leur condition vampirique, sont prêts à sacrifier leur nom en prêtant leur travail à d’autres artistes comme, à tout hasard, Shakespeare.

C’est un univers travaillé qui nous plonge d’ailleurs au cœur des années 70, 60, 1800 ou encore 1500, portées par ces personnages qui ont gardé au fil du temps ces objets et vêtements chéris, tandis que les transitions d’un acte à l’autre s’opèrent par fondu au noir comme pour une pièce de théâtre – une tragédie anglaise, peut-être, de l’époque de Marlowe. Sans oublier une formidable bande originale, récompensée par Cannes Soundtrack à l’issue du 66ème Festival de Cannes.

L’art n’est pas seul sujet d’émerveillement. On pourra seulement reprocher à Jim Jarmusch d’en faire un peu trop dans le délire intellectuel. Les héros d’Only lovers left alive, sont comme des érudits éclairés dans un monde ignorant, de vieilles âmes en recherche désespérée d’un peu de beauté restante dans un monde où ils ont tout vu. Enonçant appellations latines de faune et flore, ou explorant des solutions simples aux problèmes matériels dans lesquels les humains semblent s’enfermer, ils se désolent du pouvoir de destruction cette même race humaine.

Car derrière ses délires intemporels, l’œuvre traite de problématiques contemporaines, sources de peurs particulièrement ancrées dans notre époque : la drogue, la « contamination du sang », la pénurie d’eau. Détroit, ville brisée où un parking a peu à peu remplacé un somptueux théâtre, est le symbole de cette déchéance. L’humain devient source d’inquiétude et prédateur, avec une inversion des rapports de force, des notions de bien ou de mal. Le vampire est très humanisé, tandis que l’humain est taxé de « zombie », une réflexion non éloignée de celle abordée dans le livre Warm Bodies.

Adam et Eve, condamnés à une romance maudite et nocturne, seront-ils les seuls amants restant à la fin pour construire un ordre nouveau ? Ode à la vie et à la connaissance de toutes choses, Only lovers left alive n’est pas un film d’horreur ; c’est même à peine un film de genre, mais bien une apologie de la science universelle et du grand amour qui dure des siècles.
Filmosaure
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le 29 mai 2013

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