Oula, quelle histoire! Pendant longtemps lorsque j'étais tout petit j'ai vu régulièrement ce film à la télé. Et comme tout le monde, pour des raisons de droits (le film avait été racheté par Sylvester Stallone) j'en ai été sevré pendant encore plus de temps. Il a ainsi gagné à mes yeux... à mes méninges, devrais-je dire, une image de plus en plus fantasmatique. Je me rappelle vaguement de l'histoire. J'avais le souvenir d'un Louis de Funès survolté, d'un Claude Rich zébulon, de beaucoup de couleurs vives pétantes, et d'un rythme endiablé. Je voyais tout cela beau et grandiose, un apothéose dont les droits d'auteur nous privaient cruellement.

Et puis un jour, le miracle eut lieu : le DVD était édité. Et la mariée était évidemment trop belle. J'aime bien mon de Funès, mon Rich, ma Gensac, le théâtre boulevard typique avec portes qui claquent, les décors conçus par Georges Wakhévitch , le rythme fou, etc. Mais malheureusement, le propos du film a beaucoup trop vieilli.

Et je me rends compte que l'essence du film ne vient pas uniquement du personnage central, mais d'une conception des relations sociales aujourd'hui totalement dépassées. Dans une certaine mesure, toute proportion gardée, j'ai la même désagréable impression de moisi que quand j'ai revu récemment la pièce de théâtre "Pauvre France". Oscar comme cette pièce font sentir le gouffre des mentalités entre cette époque et la nôtre.

Mais cela ne devrait pas poser de problème de lecture, normalement. Ce n'est pas parce qu'un contexte historique est complètement différent qu'un propos ne peut pas rester pertinent, d'actualité, sinon on ne monterait plus Eschyle, Shakespeare, ni Molière. Dans un même ordre de contenu, Labiche, Courteline et Feydeau ne seraient plus à l'affiche aujourd'hui. Alors pourquoi ce film-là me paraît vieillot? Peut-être parce que je l'avais oublié et que la redécouverte n'en est que plus violente, que je ne pouvais pas m'imaginer que j'ai effectivement vécu à une époque où ces histoires de fille enceinte à marier, de demande solennelle, de mariage arrangé par le père de famille, d'autorité paternelle avaient encore une réelle emprise sur la société. J'ai été un peu choqué de voir que ce film repose essentiellement sur ces mentalités surannées. Tout l'humour du scénario s'appuie sur l'ire du père de Funès quand il apprend d'abord que sa fille a un amant, ensuite que ce dernier est son chauffeur et que par dessus le marché, elle est enceinte. Là dessus, vient s'ajouter l'histoire de Claude Rich, plus axée sur l'argent que ce dernier a volé à de Funès.

Et là, Louis de Funès s'éclate avec son personnage favori, Harpagon, qu'il a maintes fois ré-interprété. Ici sa cassette est une valise pleine... tour à tour de bijoux, de billets de banque ou de soutifs. Bref, on est dans une France d'avant 68, si chère aux apeurés du temps présent que l'évolution naturelle du monde bouscule. D'une certaine manière, on devrait revoir ce film rien que pour claquer leur beignet aux amnésiques qui mythifient un passé mal lu, aux peines-à-jouir qui osent encore ferrailler contre l'horrible révolution sexuelle et sociétale de mai 68 qui leur a coupé la zigounette.

Oublions le fond de l'histoire et revenons à la mécanique comique du film. D'abord, la nature originelle théâtrale du film demeure évidente : huis-clos, claquement de porte, rebondissements, distribution restreinte, les trois unités sont respectées. Il arrive souvent que l'on reproche aux pièces de théâtre de trop imposer leur structure quand on les adapte. Ce n'est pas quelque chose qui me gêne. A la limite, dans certains cas, j'aime beaucoup ce dispositif car il rend la mise en scène et le jeu des acteurs primordiaux. Oscar en est une belle illustration.

Je sais que cette collaboration entre Louis de Funès et Édouard Molinaro a été plus que difficile. Heureusement, le talent des deux hommes leur a permis de ne pas altérer trop visiblement les qualités de l'un et de l'autre.

Édouard Molinaro est un cinéaste qui me plait bien. J'apprécie d'abord nombre de ses films pour les histoires qu'ils racontent et le choix de ses distribution, pour la liberté qu'il laisse aux acteurs d'apporter leur personnalité à une mise en scène qu'il maîtrise fréquemment. Souvent des réalisateurs se laissent manger et perdent le fil de la mise en scène avec des comédiens qui en font trop. Ou alors au contraire, trop directifs, pas assez malléables, ils asphyxient le jeu de certains acteurs. Molinaro, malgré l'insupportable crise de bougonnerie que lui a servi de Funès pendant le tournage, réussit l'exploit de garder un film à sa main. Il y a une couleur Molinaro, un rythme très emballé, un peu trop véloce parfois même. Oscar est trépidant, mais largement lisible ; il respire bien.

Les acteurs sont respectés, le tempo comique itou. Chez Louis de Funès, je suis surpris de le voir faire un numéro de pétage de plomb auquel il se livrera à nouveau dans Hibernatus (de Molinaro aussi) dans lequel il sera peut-être même mieux maîtrisé car sans doute plus à son aise et rassuré par le résultat du travail de Molinaro sur Oscar justement. Ici il emprunte énormément à la pantomime : performance qui lui vient de ses nombreuses représentations précédentes au théâtre. Il connaît son rôle par cœur. C'est d'ailleurs sûrement ce qui a dû le décontenancer avec Molinaro : ce studio vide de public, ce réalisateur trop sérieux, bref, ce manque de réponse à ses exercices physi-comiques. J'adore Louis de Funès, mais à part la scène grandiose où il pianote sur la valise, tout ravi, tout plein de jubilation perfide, je ne le trouve pas aussi percutant dans son jeu que je me l'étais imaginé. Paradoxalement, alors qu'il connaît bien son rôle. Il n'est pas aussi relâché que d'habitude. C'est peut-être une vue de l'esprit. Curieux que je ressente cela.

Les deux Claude m'ont beaucoup plu. Claude Rich et Claude Gensac sortent le grand jeu, celui qu'on leur connaît.

Claude Rich est jeune, plein de fièvre encore un peu juvénile. Malin et passionné, son personnage semble près de basculer dans une certaine folie, sur un fil de rasoir. J'aime cet acteur.

Quant à Claude Gensac, je me répète à chaque chronique de film où elle apparaît : je l'adule. Je trouve charmants son sourire, son œil ici myope, cet air embrumé, rêveur, de même que la colère outrée qu'elle est capable d'exprimer face à l'archaïsme de son époux. Elle est parfaite et donc malheureusement sous-utilisée dans Oscar.

La mise en scène, le casting ainsi que les décors autant colorés que délirants de Georges Wakhévitch font qu'au final, je suis tout de même content d'avoir revu ce vieux film. Le positif l'emporte de peu sur les reproches.
Alligator
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le 13 nov. 2012

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