D’aucun ont des aventures… Je suis une aventure.


- Et comment vous appelez un pays qui a comme président un militaire avec les pleins pouvoirs, une police secrète, une seule chaîne de télévision et dont toute l’information est contrôlée par l’État ?
- J’appelle ça la France mademoiselle, et pas n’importe laquelle, la France du Général De Gaulle.

L’espion qui valait trois vannes et un doigt dans le cul



Après le carton d’OSS 117 : Le Caire, nid d’espions, parodie d’espionnage français librement inspiré des romans de Jean Bruce, Michel Hazanavicius remet le couvert trois ans plus tard avec OSS 117 : Rio ne répond plus. Et bien sûr, il revient avec à ses côtés, l’irrésistible Jean Dujardin, toujours dans la peau du plus arrogant, misogyne et délicieusement incorrect des agents secrets français. Dès les premières minutes, Hazanavicius prévient qu'on range la bienséance au placard, on ressort les clichés les plus douteux, et on repart en mission avec un Hubert Bonisseur de la Bath qui n’a décidément rien perdu de son sens de la provocation. En effet, le film s’ouvre sur une entrée en matière délicieusement kitsch avec Hubert qui traverse des décors bariolés et des costumes criards, entouré d’une nuée de femmes tout droit sorties d’un catalogue de mode rétro, le tout avec son flegme légendaire. Après quelques pas chaloupés, il enchaîne sur un tour de magie d’une subtilité pachydermique avec une énorme boule sortie de nulle part, brandie de façon ostentatoire, comme un symbole phallique géant, qu’il exhibe avec la satisfaction d’un homme de Cro-Magon en pleine parade nuptiale. L’élégance laisse aussitôt place une fusillade hautement improbable. Un affrontement contre des agents chinois où les balles pleuvent à foison avec des chargeurs aux capacités infinis. Personne ne se met à couvert, et les adversaires se canardent debout sans prendre la peine de se mettre à couvert. Évidemment, toutes les femmes tombent tragiquement, et Hubert s’auto-félicite de sa victoire écrasante avant de poser son regard charmeur sur la comtesse chinoise, qu’il séduit avec un aplomb de vieux briscard. Direction la chambre, pour un échange verbal aussi improbable que politiquement incorrect, où préjugés racistes et clichés sexistes s’entrechoquent sans faire dans la dentelle :

« - Vous savez décidément tout faire, Hubert.

- Je n’ai fait que mon devoir, Comtesse. Mais à l’avenir, méfiez-vous de Monsieur Li… et des Chinois en général, d’ailleurs. La fortune de votre famille impériale attire bien des convoitises.

- Les sales rouges !

- Les sales jaunes !

- Non, les sales rouges.

- Au temps pour moi.

- Vous ne connaissez pas bien la Chine, Monsieur Bonisseur de la Bath.

- Oh, ma foi… il ne tient qu’à vous de m’en laisser explorer une partie. Si intime soit-elle. »

Et comme dans tout bon OSS 117 qui se respecte, la conversation se conclut au lit, dans une séquence d’amour avec musique romantique et envolées de violons, sous l’œil attendri de deux oiseaux perchés qui finissent eux aussi par s’accoupler. Une introduction qui ne laisse aucun doute sur le fait que nous retrouvons de nouveau avec jubilation l’univers délicieusement caricatural et absurde de OSS117.



Côté scénario, on retrouve une fois encore la plume affûtée de Jean-François Halin, cette fois épaulé par Michel Hazanavicius, pour expédier notre cher Hubert Bonisseur de la Bath sous le soleil de Rio de Janeiro. Sa mission est de récupérer un microfilm compromettant contenant la liste d’anciens collaborateurs français de la Seconde Guerre mondiale. Une quête qui l’amènera à croiser le chemin des derniers nazis en liberté, d’agents chinois coriaces, et de Dolorès Koulechov (par l'excellente Louise Monot), une redoutable espionne du Mossad totalement imperméable à son légendaire charme, une insulte personnelle pour Hubert. Le duo Hubert/Dolorès fera tout du long des étincelles, tellement à l'opposé, faut dire que les nombreuses mauvaises blagues de OSS117, ne l'aide pas à l'apprécier davantage, bien au contraire.

« - Je suis ravi d’avoir une secrétaire aussi jolie !

- Pardon ?

- Non, je leur dis que je suis ravi d’avoir une secrétaire aussi jolie.

- Je ne suis pas votre secrétaire.

- Ben… vous êtes la secrétaire de qui, alors ?

- De personne ! Je suis lieutenant-colonel de l'armée israélienne. Et l'idée est que nous travaillons ensembles, d'égal à égal.

- Hum ! On en reparlera quand il faudra porter quelque chose de lourd. »

Ou encore :

« - Dame ! Rechercher un nazi avec des juifs… Quelle drôle d’idée.

- Et pourquoi donc ?

- Mais enfin il va les reconnaître.

- Comment ça ?

- Bah je sais pas le nez déjà, les oreilles, les yeux… »

Mais aussi :

« - Vous confondez les Juifs et les Musulmans !

- Vous jouez sur les mots, Dolorès. »

Un vrai moment de bonheur.


Comme si cela ne suffisait pas, il devra également affronter sa plus grande phobie, le vide ! De ce cocktail improbable naît un second opus survitaminé, où l’on retrouve tout ce qui fait le sel de la saga, mais sans recycler les mêmes gags. L’action va bon train, systématiquement tournée en dérision grâce au jeu sur les clichés surannés de l’univers 007, revisité avec une dose généreuse de grotesque. Hazanavicius s’amuse à pasticher, parfois plan pour plan, des scènes cultes de James Bond contre Dr No, et pioche aussi dans d’autres épisodes de l’agent britannique (ce qui est de bonne guerre puisque James Bond est initialement inspiré de OSS117), jusqu’à réinventer des figures récurrentes comme Felix Leiter, transformé ici en un William Trumendous alias "Bill" (Ken Samuels), tout droit sorti d’un Bond parodique. Et comme le cinéaste ne fait jamais les choses à moitié avec cet univers, il glisse en prime deux gros clins d’œil savoureux à Alfred Hitchcock, avec des hommages appuyés à La Mort aux trousses et Sueurs froides.



- Ça va Hubert ?!
- Ça va, oui, sauf que l’avion perd de l’altitude ! On file sur les arbres et je n’aurai pas le temps de sortir les trains d’atterrissage.
- Y’a quoi qui va ?!
- Ce qui va c’est que je suis là !
- Oh mon Dieu !
- Merci !


Côté réalisation, c’est un travail d’orfèvre. Un spectacle parfaitement calibré pour restituer l’esthétique des années 60. L’image est volontairement surannée, jouant sur des teintes et des textures avec un grain qui renvoient directement aux films d’espionnage de l’époque, tandis que la mise en scène exploite astucieusement les codes visuels du genre. La photographie de Guillaume Schiffman apporte une patine délicieuse qui rend cette aventure parfaitement crédible dans son univers kitsch. Les costumes de Charlotte David et les décors imaginés par Maamar Ech-Cheikh participent pleinement à cette immersion. Entre les maillots de bain vintage impeccables, les tailleurs élégants, les intérieurs chamarrés, et les paysages mythiques comme le Corcovado ou les chutes d’Iguazu, on croit allègrement à ce monde retro tout droit sorti d'une carte postale. Le tout épouse l’humour du film, qui se permet par moments des déguisements volontairement enfantins pour accentuer l’absurde. Les effets visuels orchestrés par Laurent Brett font le job avec suffisamment d’efficacité pour qu’on reste embarqué jusqu’au bout, tout en assumant une touche volontairement datée qui renforce la parodie. La musique de Ludovic Bource accompagne à merveille les différentes séquences, oscillant entre air bondien et envolées lyriques, allant même jusqu’à revisiter une partition mythique sortie tout droit d’un film Hitchcock avec (une fois encore) La Mort aux trousses. Mais le véritable bijou reste sans conteste les dialogues de Jean-François Halin et Michel Hazanavicius qui sont incisifs, percutants, et constamment sur le fil entre grotesque, improbable, grivoiserie assumée et préjugés désopilants. On passe d’un éclat de rire à un haussement de sourcil incrédule en un instant, tant les joutes verbales sont livrées avec une énergie jubilatoire. C’est dans ce mélange de précision technique et d’irrévérence totale que le film trouve sa pleine saveur, confirmant que OSS 117 ne se contente pas de faire que du pastiche, mais se sublime en sale gosse du cinéma français.



Et en parlant de sale gosse du cinéma, vient celui qui incarne à la perfection cet état d'esprit avec Jean Dujardin en Hubert Bonisseur de la Bath, alias OSS117. Son jeu repose sur une gestuelle parfaitement calculée avec une démarche de coq sûr de lui, menton redressé pour valider sa propre supériorité, sourcil gauche surélevé, un énorme sourire ouvrant une dentition parfaite, une main toujours surélevée paume tournée vers l'ennemi lorsqu'il brandi une arme. Une élégance volontairement surjouée qui lui confère la prestance d'un James Bond tout droit sorti d'un roman de gare digne de Gérard de Villier, mais qui aurait hérité des manières d’un fermier jamais sortie de sa ferme. Le visage de Dujardin est une arme comique à lui tout seul où chaque expression est un concentré de cliché et de caricature. Il peut passer en une fraction de seconde du regard plissé du séducteur sûr de lui, au froncement de sourcils outragé du patriote, puis au sourire idiot d’un gamin. Et que dire de son rire gargarisant qui est véritablement contaminant. Dans cet opus, Hubert est fidèle à lui-même, bourré de préjugés venant d’une époque aujourd'hui révolue. Entre préjugés puérils, machisme de bistrot, patriotisme poussé à son paroxysme (qui a presque quelque chose de rassurant), et cette assurance inébranlable à proclamer les pires énormités avec le sérieux d’un tribun, Hubert s’impose comme une caricature irrésistible. On le voit ainsi balancer des "vérités" sur d’autres cultures avec une naïveté si entière qu’elles deviennent d’une drôlerie imparable. Et pourtant, on ne peut que l’aimer. Car derrière ses certitudes grotesques et son arrogance d’opérette, se cache une sincérité désarmante. Hubert est persuadé d’agir pour le mieux. Jamais il ne se considère comme un pitre puisqu'il se voit en redresseur de torts, en héros de la civilisation occidentale, ce qui rend ses maladresses encore plus jubilatoires. C’est précisément ce manque absolu de recul, combiné à l’énergie physique et au sens du tempo comique de Jean Dujardin, qui fait de ce personnage une véritable pépite d’humour.



Et on peut dire qu’il nous régale de bout en bout, se vautrant avec un plaisir contagieux dans des situations grotesques dont on se délecte sans la moindre résistance, au point d’en redemander encore. Parmi ces perles, je retiens particulièrement ses échanges d’anthologie avec Bill, interprété par un Ken Samuels savoureux dans sa caricature d’agent américain goguenard. Bill se moque ouvertement de lui, l’égratigne de sarcasmes en pleine figure… mais Hubert, ne parlant pas un mot d’anglais, est convaincu qu’ils partagent une camaraderie à toute épreuve :

« - Hello motherfucker !!

- Oui Bill, c’est Hubert.

- Ahhh Houbert, sacré Houbert, son of a bitch.

- Mouiii, sans doute.

- Hubert, you are sooo French!

- Haha, toi aussi !

- Kiss my ass!

- D’accord, on fait comme ça ! »

Ce genre de malentendu absurde est un régal. Et les dialogues de ce genre continuent sur cette lancée sur d'autres scènes, comme lorsque Hubert, en quête de nazis, pousse la porte d’un consulat allemand pour obtenir des renseignements :

« - Il y a forcément une amicale d'anciens nazis, ou un club, une association ? Un mémorial nazi , peut-être ?

- Monsieur, sachez que l'Allemagne est une démocratie, et qu'en aucun cas, une ambassade allemande pourrait être au courant des agissements d'anciens nazis.

- Oui. Enfin, entre Allemands…

- Tous les Allemands ne sont pas nazi, monsieur !

- Ouais… Je connais cette théorie, oui. »

Le film regorge de moments de ce calibre. L’un des sommets reste la séquence où Hubert, après avoir consommé du LSD avec un groupe de hippies, se retrouve plongé dans une orgie psychédélique, où durant l'acte il affirme : « Un doigt dans le cul, sorti de son contexte… », répétée avec une nonchalance hallucinée qui la rend encore plus hilarante. La scène de la cuisine au crocodile est tout aussi délicieuse, tout comme celle où Hubert, déguisé en Robin des Bois, s’effondre de rire après une blague douteuse sur des boules de Noël, un moment de pure absurdité. Mais le pompon, sans l’ombre d’un doute, revient au final. On assiste à une course-poursuite qui tourne à la parodie ultime, menée à même pas un kilomètre à l’heure, opposant un Hubert et un Von Zimmel (par un Rüdiger Vogler bien drôle) complètement amorphes, fesses à l’air, dans les couloirs d’un hôpital. Une séquence à pleurer de rires, de bout en bout.



CONCLUSION :


OSS 117 : Rio ne répond plus est une suite réussie se présentant comme une lettre d’amour malpolie au cinéma d’espionnage, qui s’amuse à exploser ses codes avec un aplomb irrésistible. Entre le cabotinage virtuose de Jean Dujardin, la mise en scène intelligente de Hazanavicius et des dialogues qui claquent comme des baffes, on ressort hilare avec l’envie irrésistible de revoir encore et encore Hubert Bonisseur de la Bath reprendre du service pour notre plus grand plaisir.


L’espion qui aimait nous faire rigoler.



- Vous repartez en mission, et qui plus est : en Chine. Où, un certain Mr Li a pris en otage 50 de nos ressortissants, et ne veut négocier qu'avec vous.
- J'accepte, à une seule condition.
- Acceptée d'avance. Laquelle ?
- Je choisis moi-même mon nom de couverture.
- Pour rencontrer monsieur Li, vaut mieux… une bonne couverture ! Hahahahaha !!!!!
- Hahahahahaha !!!!!! Oui, sinon, je me mettrais dans de beaux draps !
- «« Hahahahahahahahahahahaha !!!!!!!!!!!! »»




B_Jérémy
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le 16 août 2025

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