Écumant de rage
Nadav Lapid a déjà illustré son peu de goût quant à l'évolution de la société israélienne et de la politique de son Gouvernement dans ses films précédents. Mais après le 7 octobre, Oui raconte un...
le 4 juil. 2025
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Il est difficile de parler de ce film pour la simple raison qu’il nécessite peu de mots pour être décrit et compris. Il n’est aucunement nécessaire d’entrer dans les détails, et je m’efforcerai d’éviter les circonvolutions inutiles qui alourdissent souvent les critiques médiocres. C’est le premier film de Lapid que je découvre ; j’ai par conséquent un regard neuf.
Oui se distingue par son refus du naturalisme, ce qui est, à mon humble avis, une qualité. Une méthode souvent adoptée par défaut quand une véritable vision artistique fait défaut. Le naturalisme, s’il peut briller lorsque fait avec finesse, se réduit trop souvent à une copie fade du réel, une imitation vaine. Par son exigence, il ne pardonne pas la médiocrité. Lapid, lui, adopte une approche qui lui est naturelle comme une seconde peau : il cherche à transmettre une impression, un malaise viscéral, en puisant dans le grotesque et le fantastique. Dès les premières scènes, la caméra, comme prise de folie, traduit cette agitation intérieure. Ce choix stylistique, loin de l’imitation du réel, confère au film une brutalité qui agresse nos sens. Le plan cherche à secouer le spectateur tout en signifiant la folie qui s’empare d’Israël.
Lapid explore l’âme de ce pays post-7 octobre 2023, date des attaques du Hamas qui ont déclenché une réponse militaire. À travers ses personnages, il dresse un portrait de la société israélienne, de ses dirigeants cyniques à ses artistes. Y, ou Yes, parce qu’il dit oui à tout, est le personnage principal et incarne une forme de synthèse. Artiste musicien en reconversion dans l’entertainment, il s’interroge sur l’immoralité de la guerre tout en y participant activement. Y subit les conséquences de ses actes, faits d’humiliations quotidiennes, le rapprochant de la folie. Il représente une population captive d’elle-même, liée par ses propres choix, se percevant à la fois comme victime honteuse et complice pour survivre.
Jasmine, sa compagne et partenaire de travail, incarne la fuite. Elle noie son malaise dans la musique, la danse, les substances, saturant ses sens pour occulter son conflit intérieur. Son rêve d’une Europe aux plaines verdoyantes trahit son désir d’évasion d’un pays qui l’étouffe. « Le Russe », quant à lui, représente la jouissance cynique, artistique, de la souffrance à Gaza ; il incarne la perte de repères moraux. Enfin, Leah, une ancienne compagne de Y, évoque un passé idéalisé, un temps où les individus étaient insouciants avant de se muer en outils de propagande. Sa rencontre avec Y au milieu du film déclenche une crise existentielle. L’espace d’un instant, il souhaite retrouver un état antérieur, conscient d’être devenu une personne qu’il déteste.
Lapid dépeint un Israël où tout est vicié, où l’art lui-même devient un instrument de manipulation idéologique. Y et Jasmine, pris dans ce tourbillon, organisent leur propre perte, acceptant leur rôle dans un système qu’ils savent immoral. Ils participent au cirque festif des hautes sphères du pouvoir, où l’on se saoule de fêtes orgiaques, où l’on tourne en dérision cette guerre par l’usage du cynisme et l’utilisation de la musique pop comme outil de distraction et diffusant un discours guerrier. Ces deux modes sont employés dans le but d’instaurer une distance, à la fois physique et morale, avec le drame qui se joue à la frontière. Parce qu’ils sont devenus fous, ils peuvent continuer à mener cette guerre. Lors de l’une de ces fêtes, Y se met à quatre pattes et accepte tout ce qu’on lui met en bouche : il est à la fois souillé et nourri. Il représente une population gavée de propagande, mais qui n’est pas dupe et l’accepte, incarnant à la fois le rôle de victime (une posture qui permet de se pardonner) et de complice. Y accepte cette situation pour s’en sortir financièrement, ce qui suggère que, à travers son personnage, la guerre à Gaza est perçue comme nécessaire, mais répugnante.
Dans la dernière partie, Lapid orchestre un acte final qui se veut libérateur : une pièce de théâtre obscène, un « chef-d’œuvre abominable » où les personnages repoussent les limites de l’odieux. Mais cette transgression ne délivre personne. Y, marchant sur une route fréquentée, hésite à en finir, il est sauvé in extremis par Jasmine. Leur marche commune, plus complices que jamais, scelle une vérité amère : la guerre continuera, et avec elle, leur aliénation. Lapid ne propose pas de rédemption, mais une question : jusqu’où peut-on aller dans l’acceptation de l’horreur ?
Oui de Nadav Lapid est un miroir tendu à une société israélienne qui agit comme un monstre, le sait, le déplore, le devient, mais s’y résigne.
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il y a 4 jours
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