Un jeune homme issu d’un milieu pauvre se voit proposer de donner des cours privés à une fille de famille riche. Rapidement, il y voit une opportunité pour toute sa famille, tous au chômage. Ensemble, ils préparent une stratégie pour progressivement tous se faire embaucher, via d’habiles manipulations, quitte à causer du tort à d’autres personnes pour prendre leur place. Mais lorsque leurs manipulations menacent d’être dénoncée, la situation commence à dégénérer de manière imprévue…


Le thème des inégalités entre les classes, beaucoup de films l’ont déjà traité, dans plusieurs régions du monde (Amérique du sud, Asie), à plusieurs époques (Italie après la 2eme guerre mondiale, « le voleur de bicyclette », Etats-Unis pendant la Grande Dépression, « les raisins de la colère »), souvent exploité avec plus ou moins de subtilité dans les films d’anticipation (« metropolis », « elysium », « time out », « hunger games » …) et même les séries (3%). Pour en souligner l’injustice et le profond désarroi que pouvait ressentir un défavorisé face à l’opulence de ses semblables plus fortunés, ou d’une manière plus décalée, en montrant la frustration qui monte jusqu’à exploser, comme dans l’excellent « les nouveaux sauvages ». Et c’est d’ailleurs un thème que l’on a déjà pu retrouver dans la filmographie de Bong Jon-Ho (« transperceneige »).
C’est que, profondément symptomatique des failles de notre société, c’est un thème qui reste malheureusement d’une actualité criante, puisque 20% des plus riches se partagent 80% des ressources existantes. Plus qu’une question de différence de richesse, c’est aussi et surtout une question de classe et de statut social, entretenu par la société elle-même. En effet, la société est ainsi faite que les plus démunis sont amenés le plus souvent à rester dans la même classe sociale et économique avec des possibilités limitées de s’élever. Niant cette injustice, la classe supérieure aime à affirmer que c’est par paresse qu’ils ne sont pas arrivés à gagner leur vie plus dignement, à l’inverse d’eux-mêmes qui ont construit leur situation via le travail et le mérite. La classe défavorisée se voit alors jugée et pris de haut par la haute société, accusée de torts dont elle n’est pas responsable, parfois humilié dans sa qualité d’être humain, conduit au rang d’inférieur.


Dans « parasite », il est difficile de prendre parti pour l’une ou l’autre des familles. Si on développerait davantage de compassion via la famille défavorisée du fait de leurs difficultés, ils se montrent rapidement malhonnêtes, opportunistes, arguant que la fin justifiant les moyens. Ainsi, le jeune homme n’hésite pas faire fi des sentiments de son ami étudiant lorsqu’une possibilité se crée avec la fille bourgeoise.
Et ils n’ont aucun remord à faire mettre à la porte la gouvernante, au service de la maison depuis un moment, qui se retrouve subitement sans aucun toit, désœuvrée.
Tandis que la famille aisée se montre arrogante, irrespectueuse, décalée de la réalité. Dans leur riche maison, avec gouvernante et chauffeur privé, les parents sont tellement préoccupés par leur image qu’ils n’osent jamais parler directement pour sauver les apparences et faire bonne figure. La mère est agitée d’angoisses imaginaires, notamment pour l’éducation à ses enfants dont elle surestime les capacités. Bien que vivant dans l’opulence, le raffinement et la propreté, derrière les murs (faussement) protecteurs, des désirs inavouables sont bien présents. Une vie à l’écart des autres qui les rend insensible à la détresse des autres. Lorsque le fils fait un malaise, ils ignorent totalement l’autre personne mortellement blessée à côté…
Et c’est justement sur ces angoisses, cette suffisance, cette crainte du regard d’autrui que l’autre famille va utiliser contre eux, mais avec des moyens franchement répréhensibles.
Mais lorsque les choses commencent à déraper, l’on éprouve à nouveau une compassion pour la famille défavorisée lorsqu’ils se retrouvent à la rue en pleine nuit, par temps de grosse pluie, leur logement inondé. Compassion aussi pour la famille aisée, dépassée par les événements, et pour les enfants innocents, trop jeunes encore pour avoir joué leur part dans l’injustice de la société.


La famille d’anciens chômeurs s’habitue très vite à la belle vie, tandis qu’éloigné à contrecœur de cette vie d’opulence, d’autres personnes perdent très vite leur tenue et leur dignité. L’argent et la richesse ne rendent pas l’homme meilleur, ils cachent juste ce qui est sale et honteux, mais le cachent seulement. Sous couvert de bienveillance et de compassion mutuelle, l’avidité et l’égoïsme ressurgissent bien vite dès que les conditions se font plus dures. Tandis que d’autres tentent de survivre comme ils peuvent, en n’ayant aucune raison de se montrer particulièrement bienveillants, s’opposant entre eux pour s’emparer des maigres ressources et profitant des riches naïfs qui n’ont eux pas à montrer tant d’hostilités.


« Mais moi aussi si je vivais dans cette maison, je me montrerais gentille » (citation approximative) affirme ainsi la mère, disant que si les riches sont gentils, c’est parce qu’ils n’ont à se soucier de rien. Il est vrai qu’une existence à vivre dans le manque, rend plus enclin à s’emparer des richesses lorsqu’elle se présente, quitte à s’arranger avec l’éthique, surtout lorsqu’il s’agit de faire du tort à ceux qui en ont déjà beaucoup. Un vol n’a pas la même signification selon qu’on a déjà tout ou que l’on soit dans le manque. Est-ce que cela justifie pour autant tous les mensonges ? Bien sûr que non.
Dans ce contexte, je garde l’image du père du « voleur de bicyclette », affligé par l’injustice dont il fut victime et sans recevoir aucun soutient, qui finit dans un acte de désespoir par commettre lui-même un vol, sous le regard en pleurs de son fils.


Lorsque c’est la société qui vous évalue et vous juge sale et inférieur, le manque de richesses matérielles ressurgit sur l’état mental. C’est ce que ressent Ki-Taek, père de la famille pauvre, après avoir entendu des paroles particulièrement humiliantes de son homologue riche. Pourtant d’humeur légère, ses traits se figent et c’est un tout autre regard qu’il lance. C’est d’ailleurs dans ce qui va suivre que la comparaison avec « les nouveaux sauvages » s’imposent pour ceux qui l’ont vu…


Tout le jeu d’acteur est à saluer dans ce film. Les relations entre les personnages, ainsi que la façon dont petit à petit ils gagnent la confiance de leurs employeurs pour les manipuler. L’ingéniosité des stratagèmes mis en place, des petits détails aux manipulations orales, est très inventive. La réalisation, avec des mouvements de caméra rapprochés qui permet de comprendre toute la subtilité du plan mis en place, mais aussi l’état mental de chacun des personnages, sert pleinement le propos.


En montrant une famille manipulatrice jusqu’à l’excès, face à une famille bloquée dans ses angoisses de façon presque caricaturale, Bong Jon-Ho ne prend pas parti pour telle ou telle catégorie sociale. Il montre les conséquences sur l’humain que peut avoir un trop grand écart de richesses, rendant l’un envieux et l’autre arrogant, suscitant des jalousies pouvant conduire jusqu’à la violence. Le réalisateur coréen utilise pour se faire la carte de l’humour noir et caustique, alternant de manière surprenante entre la comédie et la tragédie, rend les personnages tour à tour antipathiques ou attachants.


Le réalisateur coréen pensait que son film aurait surtout du succès dans son pays, la Palme d’Or gagné au Festival de Cannes montre qu’il a touché là à un thème bien plus universel.

Enlak
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le 9 août 2019

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