Nous y voici. Parasite. Un des films les plus acclamés de ces dernières années, une perle finale dans la carrière déjà géniale du sud-coréen Bong Joon Ho (de ce que j'en ai entendu, je n'avais vu que Snowpiercer, qui n'est pas très symptomatique de la carrière du monsieur), et un lauréat de la palme d'Or de Cannes de 2019. Autant dire ce qui risque, dans les années qui suivent, de devenir un film essentiel de toute la décennie 2010.


Pourtant, j'étais relativement mal conditionné, parce qu'on m'avait rapidement vendu un drame social, dont j'étais encore assez lointain (J'avais encore entendu parler des films de Stéphane Brizé, mais c'était tout). J'étais donc heureux de voir mes préjugés sur ce genre absolument détruits jusqu'à la racine, démystifiés par un réalisateur sachant vraiment utiliser une caméra et une intrigue ou l'humour noir côtoie le tragique.


On va baser l'intrigue à traits grossiers. Une famille de pauvres prolétaires sud-coréens, dont le travail est de (mal) plier des cartons de pizza, nommée la famille Ki-taek, trouve soudain la poule aux oeufs d'or en entrant dans le cercle privé et terriblement bourgeois de la famille Park, dans les quartiers huppés de la ville. Rapidement, parvenant à caser toute la smala dans l'entourage des Park par une série de malversations et manipulations, (le fils prof d'anglais particulier, le père chauffeur etc. dont on fait croire qu'ils n'ont aucun lien de parenté), la famille Ki-taek profite des beaux jours rémunérateurs qui les attendent, jusqu'à ce que ...


Okay, okay, j'arrête, je le sais, je fais un très mauvais narrateur. De toute manière, ces quelques lignes ne sauraient pas aborder une intrigue qui, si elle semble linéaire et "devinable" (on devine rapidement la fin tragique à un certain moment du film impliquant un bunker, ceux qui l'ont vu sauront.), cache une certaine richesse de points de vue.


La famille Park est juste une famille normale. On ne voit pas, dans le film, de vieux connards arthritiques exploitant les pauvres. Au contraire, l'image des Park est douce, lissée. Peut-être un peu trop lissée, "comme un fer à repasser" dit la mère pauvre à un moment du film, ce qui est une bonne analogie. La famille bourgeoise, reflet en miroir de la famille pauvre, est en fait antipathique , pas par l'exploitation, mais par son mépris de classe vis-à-vis des pauvres, reflété notamment par l'odeur, qui tient une place notable dans le film. Il y a donc un contraste saisissant, incroyable, puissant, entre le domicile des Park que la famille Ki-taek fuit précipitamment, dans les hauteurs, et leur propre domicile pauvre, ressemblant à un cloaque immonde et inondé. Encore une fois, la mise en scène réussit à faire parler l'image. Elle représente la famille Ki-taek redescendant dans ce bouge social auquel ils appartiennent, ce qui explique une partie des scènes montrant des escaliers : ils représentent cette descente aux enfers. C'est à ce moment là que le film cesse de devenir une sorte de comédie noire, et tombe dans sa phase tragique : on sait que rien ne sera comme avant, et que la suite présage le pire. Les pauvres n'ont plus foi en ceux qui les emploient, et ce qu'ils ont enfermé peut provoquer la fin de tout ce qu'ils ont tenté de construire.


Renversement des valeurs, donc, que représente d'ailleurs une utilisation ironique des objets ou des personnages : la pierre donnée au début du film aux Ki-taek est censée donner chance, et pourtant c'est avec cette dernière que le fils des Ki-taek se fait presque frapper à mort. Même chose lorsque la mère Park dit que les fantômes, comme celui qu'a vu son fils dans la maison, sont censés porter chance dans cette dernière : c'est ce même "fantôme" qui produit le tragique à la fête de la fin du film.


Il y a malgré tout une forme de comique en voyant ce film ; ils sont succincts mais marchent toujours. Par exemple, lorsque la fille des Ki-taek se fait embaucher par les Park comme thérapeute par l'art pour leur fils, elle fait embobiner la mère Park, et les exagérations d'indignement de cette dernière ou son admiration pour les "talents" de son fils donnent un caractère absolument absurde qui fait bien ricaner, qui créent un effet de détente passager qui laisse le film respirer.


Génie dans la forme, tant dans l'image que dans le son, dont la dissonance créé un effet de malaise progressif. Génie dans le fond aussi, car au final ce film ne porte aucune morale. Les Park sont des connards égocentriques et méprisants vis-à-vis de ce qui n'appartient pas à leur classe. Les Ki-jung sont des faussaires, des Parasites (d'où le titre), croyant prétentieusement (du moins pendant la première partie du film) que tout leur est dû et sans scrupules pour les anciens employés qu'ils virent, qui appartiennent probablement à la même condition sociale qu'eux. On ne peut avoir aucune affection pour aucun des protagonistes, parce que tous leurs défauts sont mis à nu. C'est aussi un parti pris risqué de la part de Bong Joon Ho, car certaines critiques négatives ont souvent fait remarquer qu'ils ne parviennent pas à s'identifier à un personnage, et qu'au final la morale est absente.


Je ne suis pas d'accord, et je trouve même que cette dernière est un peu "bisounours" : la malversation pour devenir riche ne sert à rien, il faut devenir riche de manière honnête, et c'est ce qui permet de montrer sa vraie valeur. Moralité méritocratique, un peu convenue, qui souffre donc de nuances. C'est donc un petit moins, auquel j'ajouterais un autre : le fait que la famille Park ne se pose AUCUNE question sur l'origine des nouveaux employés ni leurs qualifications, et qu'ils font confiance à ces nouveaux employés en un si court laps de temps m'a fait un peu sortir du film, parce qu'elle est peu cohérente avec le caractère un peu contrôleur et paranoïaque des Park. Mais cela n'empêche absolument pas Parasite d'être à mes yeux un excellent film, une bonne expérience cinéma, et un questionnement social intéressant.

Créée

le 13 mars 2021

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