C’est un après-midi d’été paisible, dans une grande demeure isolée au cœur de la campagne russe. Une veuve réunit autour d’elle amis, voisins et anciens amants. On rit, on chante, on joue du piano mécanique, on boit, on se souvient.
Et pourtant, sous cette légèreté apparente, quelque chose gronde, une mélancolie diffuse, une angoisse sourde, celle d’un monde au bord du basculement.
En adaptant Ce fou de Platonov de Tchekhov, Nikita Mikhalkov signe une œuvre d’une subtilité rare. Il filme la noblesse russe du XIXᵉ siècle dans toute sa splendeur crépusculaire, entre raffinement et décadence. Derrière la beauté des jardins, les rires et les jeux, se dessinent les fissures d’une société condamnée, incapable de percevoir les signes avant-coureurs de sa propre chute. Chaque échange mondain devient alors un écho du vide intérieur, chaque éclat de rire une façon de retarder la fin.
La mise en scène, d’une grande élégance, épouse cette lente décomposition. La caméra glisse entre les personnages avec grâce, révélant leurs failles, leurs désirs étouffés, leurs illusions perdues. Mikhalkov ne filme pas la révolution, il filme l’instant juste avant, ce point d’équilibre fragile où la légèreté vire à la tragédie. Dans cette atmosphère suspendue, la nature devient le témoin muet de la fin d’un monde, et la pluie finale, celle qui s’abat sur la maison, emporte les derniers restes d’un bonheur artificiel.
Sous ses airs de chronique de mœurs, Partition inachevée pour piano mécanique est un requiem, une élégie douce et cruelle pour une aristocratie inconsciente de son agonie. C’est un film sur la fatigue des âmes, sur le poids du temps et la perte du sens, où l’humanité de Mikhalkov rejoint la lucidité de Tchekhov. Tout y respire la grâce, la mélancolie et la beauté d’un instant voué à disparaître.