"On savait que la philosophie ne mène nulle part"

Pas son genre, c'est un peu le genre de film dans lequel, le plus intéressant, c'est l'interprétation qu'on peut en faire. A première vue, c'est juste une histoire d'amour un peu niaise.
Néanmoins, Lucas Belvaux met en place un jeu d'oppositions et d'échos intéressant mais un peu basique. Clément Le Guern fait partie de la haute société parisienne, fréquentant des lieux mondains et raffinés, allant à l'opéra, convié à des conférences sur la philosophie allemande et scandinave. Au contraire, Jennifer est présentée comme une provinciale d'Arras appartenant à la classe moyenne, devant se contenter de ce qui ressemble à un salle des fêtes municipale où les gens font du karaoké (supposée être une boîte de nuit ...).
Toute l'originalité du film réside dans son approche de la philosophie et de l'érudition. Alors que Clément écrit des livres de philosophie, Jennifer préfère les romans à l'eau de rose. Les deux personnages n'auraient pas pu être plus antagonistes. Pour moi, Jennifer souffre d'un complexe lié à l'éducation (qu'elle a peut-être délaissée, ayant toujours voulu devenir coiffeuse), qu'elle tente de combler par la lecture. On le voit lorsqu'elle conseille à la baby-sitter de son fils de bien travailler à l'école pour garder le plus d'opportunités professionnelles. Elle partage d'ailleurs l'opinion courante selon laquelle être savant, c'est savoir beaucoup (principe d'érudition). Ce complexe serait alors exacerbé par Clément, très maladroit dans son comportement envers elle, qui lui donne des leçons de philosophie et de littérature et lui offre des cadeaux inappropriés comme la Critique de la faculté de juger, de Kant. Inutile de vous dire que dans la scène suivante, on voit Jennifer essayer de le lire, s'arrêtant toutes les phrases pour chercher un mot dans le dictionnaire.
Je pense que l'aspect le plus intéressant du film, ainsi que le fils conducteur, c'est le comportement de Clément dans son environnement, responsable de sa maladresse (à moins que ce ne soit parce que Jennifer est sa première "vraie" copine et qu'elle est différente des gens qu'il fréquente habituellement). Pour un philosophe, même spécialiste de la philosophie allemande et scandinave, il semble avoir fait l'impasse sur la lecture du Discours de la méthode de Descartes (ce qui est plutôt regrettable). Clément se comporte en savant/philosophe dans sa vie quotidienne alors que Descartes insiste sur la nécessité de se forger une morale car se comporter en savant dans la vie courante serait ridicule et dangereux. Lorsqu'il se dispute avec Jennifer, Clément répond par des interrogations, des "je ne sais pas", marqués par doute socratique. Utiliser la philosophie de Socrate dans sa vie quotidienne ne me paraît pas être ce qu'il y a de plus convénient. Pas ce qu'il y a de plus convaincant d'un point de vue argumentatif non plus.
Même si Emilie Dequenne apporte de la fraîcheur à cette comédie romantique avec son rôle de coiffeuse cherchant le grand amour, Pas son genre a du mal à dépasser le stade de film de divertissement. Pour y trouver un plus grand intérêt, il faut posséder des connaissances philosophiques, opportunité que tout le monde n'a pas, si tant est qu'on s'intéresse à la philosophie.


(SPOILER)


"""
Le gros point noir de ce film est quand même son absence de fin. Je veux bien que le concept de laisser imaginer la fin au spectateur est en vogue mais moi, je ne regarde pas un film pour le faire moi-même. Jennifer est-elle partie ? S'est-elle suicidée ? Telle est la question """

Marinière
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le 16 avr. 2015

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Marinière

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