Pas un bruit
5.9
Pas un bruit

Film de Mike Flanagan (2016)

L’économie de moyens n'est pas en soi une proposition

Qui est le film ?
Avant The Haunting of Hill House ou Doctor Sleep, Mike Flanagan signait en 2016 un petit thriller d’horreur domestique, Pas un bruit, tourné en huis clos et sans grands moyens. Le pitch tient en une ligne : une écrivaine sourde et muette se retrouve traquée dans sa maison isolée par un tueur inconnu. Le film s’inscrit dans cette lignée de survival à la première personne. Sa promesse : faire du silence une arme narrative, de la privation sensorielle un dispositif de tension renouvelée. En somme, un film concept : une variation sensorielle sur le home invasion.

Mais c’est précisément dans cette promesse que Pas un bruit se perd. À vouloir sublimer son économie de moyens par un exercice de style, Flanagan échoue à dépasser l’esquisse de ses idées, les laissant dans une zone grise entre l’épure et le manque.

Que cherche-t-il à dire ?
On devine derrière le scénario minimaliste une volonté de déplacer les codes du genre. Ne pas faire peur par le cri, mais par l’absence. Raconter la violence non comme surgissement brutal mais comme intrusion lente. En cela, le film semble vouloir réfléchir à la condition de son héroïne non comme une limite mais comme une forme d’intelligence alternative, où l’adaptation au danger repose sur une perception du monde non auditive. Sur papier, l’ambition n’est pas inintéressante.

Mais cette ambition reste, à peu près à chaque étape du film, une ambition non tenue. Le silence n’est pas incarné. Il est appliqué. Le handicap devient un prétexte de mise en scène, sans jamais vraiment produire une écriture différente.

Par quels moyens ?
Flanagan installe tôt dans le film un plan censément choc : Maddie, de dos, découpe des légumes tandis que le tueur tue derrière la vitre, hors de son champ sensoriel. L’image est nette, presque théorique. Mais elle est vidée de toute surprise, tant elle a été vue et revue ailleurs. La mise en scène ne cherche pas à lier notre regard à celui de Maddie, elle se contente de nous placer en surplomb. Ce qui aurait pu être une expérience subjective devient une scène illustrative, qui échoue à générer autre chose qu’un suspense téléphoné.

Très tôt, Flanagan fait tomber le masque du criminel, choix qui pourrait être audacieux : il désamorce le mythe, rend le mal banal. Mais cet homme sans nom, sans histoire, sans tension propre, ne devient pas inquiétant pour autant. Il devient transparent. Le film semble croire qu’en retirant le masque, il fait une déclaration. Mais c’est un geste creux : rien ne vient densifier la silhouette ainsi exposée. La terreur n’est pas renforcée par l’anonymat, mais dissoute dans l’insignifiance.

Le choix de ne pas exploiter les jump scares ou les musiques stridentes pourrait être salutaire. Mais ici encore, le silence n’est pas écrit. Il est apposé. On passe d’une scène sonore à une scène "muette", sans véritable travail de continuité ou de contraste. Le silence n’est ni dramatique ni sensoriel, il devient platement technique. Et dans un film qui prétend faire de ce silence son cœur battant, c’est une absence dramatique grave.

L’un des seuls moments où Maddie "parle", en pensée, pour envisager ses différentes options, se veut introspectif. Mais le film échoue à lui donner une texture mentale. Ce monologue imaginaire est filmé frontalement, sans travail particulier sur la voix, la lumière ou le rythme. Là où il aurait pu générer un basculement, une verticalité du récit, il reste à la surface : un dialogue intérieur un peu scolaire, vite expédié.

Où me situes-je ?
Je regarde Pas un bruit avec un œil inquiet : celui d’un spectateur qui voit se multiplier les propositions de cinéma "conceptuel" dans le genre, sans que cela ne débouche toujours sur de vrais gestes de mise en scène. J’admire chez Flanagan sa tentative de raconter une expérience perceptive différente. Je vois ce qu’il cherche. Mais ce que je ressens, c’est le manque de risque réel.

Car penser un film, ce n’est pas seulement en annoncer la thèse. Ici, les idées sont là, mais sans ancrage. Le handicap est une donnée de scénario, pas une pensée formelle. La violence est une mécanique, pas une peur. Et le silence, au lieu d’être un langage, devient une absence.

Conclusion
Pas un bruit me semble illustrer un malentendu fréquent : celui d’un cinéma qui croit que l’économie de moyens est en soi une proposition. Mais l’épure n’est pas l’austérité, et le minimalisme n’est pas la pensée.

cadreum
6
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le 9 juin 2025

Critique lue 8 fois

5 j'aime

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