Ce film peut être considéré comme la suite directe de L’Enfance nue, reprenant la justesse et l'âpreté du regard là où s’était arrêté le récit, ajoutant peut-être encore la noirceur perçue dans La gueule ouverte… Devenus adolescents, les individus se cherchent et, toujours assoiffés de tendresse et d’attention, cherche laborieusement à composer avec la grammaire complexe et frustrante de l’amour.
Laids, précaires, incertains, vaguement blasés, ils portent sur le réel de leur temps et de leur lieu (Lens en 1979, on a vu plus glamour) tout sonne on ne peut plus authentique et, partant, dur. Certes, les regards pétillent encore, mais on ne trouve pas encore cette petite jubilation précieuse qui fer l’étincelle des Pialat suivants, (A nos amours ou Loulou) où, pour un baiser volé ou une claque bien sentie, la vie vaut tout de même d’être vécue. Lorsqu’on rit, et rarement, c’est plutôt sous l’emprise d’un joint.
Le plus terrible reste le monde des adultes dépeint par Pialat. Certains optent pour un discours stérile sur l’âge d’or de la génération précédente qui permettrait à tout réactionnaire contemporain de sacrément déchanter dans son discours face à notre « jeunesse d’aujourd’hui ». D’autres, refusant de vieillir, voudraient se frotter à cette jeunesse bouillonnante et perdue, facile à prendre : ce sont les scènes les plus malsaines, miroir obscur de ce qui attend les frustrés en devenir.
Toujours aussi frontal dans sa prise de vue, Pialat ausculte sans juger. Naturaliste, à la recherche de l’essence du vrai sans idéalisation fougueuse sur la jeunesse ni misérabilisme, il impose au spectateur une immersion dans ce que le quotidien a de plus frustrant.
Une habile construction narrative permet tout de même quelques ébauches de sens sur son projet. Le film s’ouvre sur une table gravée de lycée et le discours inaugural du prof de philosophie : « En philosophie, le premier boulot, ça sera de désapprendre. Mais s’il n’y a pas de demande, un désir de votre part, il ne se passera rien ». Bien belle déclaration programmatique qu’on pourrait déplacer vers le cinéaste s’adressant à ses spectateurs sur les exigences de son cinéma. Mais c’est surtout l’inefficience de ce discours qui frappe, immédiatement remplacé par un autre où l’on explique les règles d’un jeu collectif en cours de sport. Face à la prof, des élèves passifs dont l’unique intérêt est de capter le regard d’un camarade en lui souriant avec malice. Demande et désir sont bien présents, mais sûrement pas de cet ersatz de vie qu’est la culture scolaire.
[Spoilers] Le film se conclue sur le redoublement de deux élèves et le retour du cour inaugural de philo. Même table gravée, même discours, à la différence près qu’une des protagonistes est enceinte et que l’autre annonce déjà que réécouter le même topo l’ennuie et qu’elle ne pense pas continuer l’année dans ces conditions. Les autres jeunes ont commencé la vie des adultes : mariage, ménage, univers clos des tâches du quotidien sans aucun glamour. Pas d’espoir, pas de salut par la culture, mais une survie résignée, sans drame ni quête.

http://www.senscritique.com/liste/Top_Maurice_Pialat/340377
Sergent_Pepper
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le 19 nov. 2013

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le 17 juin 2014

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