Precious Pearl
En toute logique purement sémantique cette préquelle de X aurait du s'intituler W. C'est finalement sous le titre de Pearl que Ti West revient nous coller un bonne claque cinématographique dans la...
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le 19 nov. 2022
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Qui est le film ?
Pearl est le deuxième volet de la trilogie amorcée par X (2022), œuvre rétro-slasher où l’Amérique puritaine rencontrait l’industrie naissante du cinéma porno. Ici, Ti West revient à la source : à Pearl, l’antagoniste âgée de X, pour en raconter la genèse. Loin de simplement combler les blancs, Pearl redessine tout le spectre du monstre en en faisant une héroïne tragique.
Le film se situe en 1918, dans une Amérique confinée, cernée par la grippe espagnole et les échos d’une guerre lointaine. Pearl vit dans une ferme claquemurée, aux côtés d’un père paralysé, d’une mère autoritaire, et de fantasmes trop grands pour sa vie. Elle rêve d’évasion, de lumière, d’un destin de star. Sur le papier, Pearl se présente comme un conte horrifique narrant la naissance d’un monstre. Mais ce qui est promis, c’est moins la peur que la zone instable où le rêve tourne lentement au délire.
Que cherche-t-il à dire ?
Pearl est un film sur l’irréconciliable : entre le dedans et le dehors, le rêve et la condition, le désir d’image et l’exclusion sociale. Ce n’est pas tant un film sur la folie que sur le besoin d’être reconnue, reconnue non comme marginale, mais comme sujet digne de figurer dans le récit collectif. Pearl ne tue pas par cruauté, mais par abandon. Ce qu’elle ne supporte pas, c’est d’être de trop, hors-champ, surnuméraire.
Le projet du film est clair : il cherche à déployer une tragédie du regard. Pearl veut être regardée, non seulement vue, mais désirée dans ce qu’elle projette d’elle-même. Le cinéma, ici, n’est pas simple toile de fond. Il est promesse brisée, trou noir où les aspirations échouent. Le monstre que devient Pearl est le symptôme d’un monde qui n’a pas de place pour elle, et qui refuse de la lui faire.
Par quels moyens ?
Dès les premiers plans, Ti West adopte la grammaire formelle des mélodrames des années 1950 : musique lyrique, palette saturée, panoramiques soyeux, générique sur fond rouge. Cette esthétique "trop belle" produit un effet de surenchère presque toxique. Le cadre promet une fable enchantée, mais c’est une illusion. La tension du film repose précisément sur cette dissonance : plus l’image est éclatante, plus le récit s’enfonce dans l’obscurité morale. Le style devient piège : ce n’est pas un film lumineux, mais un film surexposé.
S'en suit, l'audition dans la petite église locale, préparée comme un sommet du film, est en réalité un échec doux, irréconciliable. Pearl danse, elle croit y être. Elle entend des applaudissements dans sa tête. Mais le jury lui dit non. Un non impersonnel, administratif, presque poli. Ce moment, traité sans effet d’emphase, est l’effondrement du film : Pearl ne sera pas choisie, pas parce qu’elle est mauvaise, mais parce qu’elle est inadéquate. Parce qu’il fallait "une fille blonde". L'horreur sociale passe par là.
A partir de là, la violence de Pearl n’est jamais décorative. Elle surgit dans l’économie interne du récit, comme réponse à un trop-plein ou à une limite infranchissable. Chaque meurtre est une manière de rétablir un équilibre fictif, de reprendre le contrôle sur une vie minuscule. Quand elle tue sa mère dans la cuisine, c’est la loi du foyer qu’elle abolit. Quand elle tue Mitzy, c’est la préférence sociale qui explose. Mais cette violence ne délivre rien. Elle laisse Pearl plus seule encore, plus proche de sa propre image délirante.
Le plan de fin, inoubliable, tient sur un seul mouvement : Pearl regarde la caméra, fige son visage en un sourire maladroit, forcé, et le maintient pendant un temps interminable. Ce n’est pas un clin d’œil au spectateur. C’est une tentative désespérée d’apparaître comme on l’a toujours rêvé : radieuse, digne, vue. Mais ce sourire se tord, vacille, tremble. Il devient grimace, puis masque. La caméra continue de tourner, mais la vérité fuit. C’est un plan de cauchemar, parce qu’il ne coupe jamais.
Où me situer ?
Je suis sorti de Pearl avec la sensation d’avoir vu un film plus cruel que sanglant, plus tragique que terrifiant. Ce qui m’a touché, c’est la manière dont Ti West prend au sérieux une figure de cinéma que l’on aurait pu laisser à la caricature : la vieille tueuse de X devient ici une enfant abîmée par le manque d’amour, par le non-accès à l’image.
Quelle lecture en tirer ?
Pearl est un film sur le désajustement radical entre l’intériorité d’un être et le monde dans lequel il tente de se projeter. C’est une tragédie du regard, où le monstre n’est pas l’Autre, mais le moi impossible à reconnaître. Pearl veut être dans le film, être l’image, être celle qu’on choisit, qu’on aime, qu’on regarde. Elle finit hors de tout, seule, enfermée dans le cadre qu’elle a rêvé et que personne ne lui a jamais offert.
Ti West signe ici un mélodrame horrifique qui n’accuse personne, qui n’excuse pas non plus. Il montre une société qui produit ses monstres par saturation de normes, par refus des dissemblances. C’est un film sur la solitude des âmes déviantes, sur l’enfer des rêves mal logés, sur la violence douce d’un monde qui sourit au mauvais visage.
Créée
le 29 juin 2025
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