Reprenez la trame de Yojimbo de Kurosawa, rajoutez-y plus de violence et moins d'humour que dans les volets précédents de 007 et vous aurez Permis de Tuer. Hélas il y a eu aussi plus de problèmes sur ce tournage que sur le précédent et cela se ressent. Le montage et la direction d'acteur sont fort étrange et la musique peu adéquate à 007. Il y aussi beaucoup de références à l'univers de Bond, que ce soit les films précédents ou les livres. Des références parfois trop spécialisées mais qui contribue à construire un des films les plus particuliers de la saga et un de ceux que les fans préfèrent ou du moins dont ils discutent le plus.



James Bond, ce ronin rogné.



Les scénaristes ont volontairement utilisé la trame de Yojimbo, déjà utilisée dans Pour une Poignée de Dollars de Sergio Leone.
On y voit le capitaine de frégate le plus populaire du monde s'infiltrer chez ses ennemis et les dresser les uns contre les autres. Pour cela il doit auparavant quitter son service. Il le fait avec explosivité et classe, dans la demeure d'Hemingway, peuplée des ses fameux chats, histoire de faire un clin d'œil littéraire. Il devient donc un rondin, un samouraï sans maître. En cela les scénaristes, dont l'un est aussi producteur puisqu'il s'agit de Michael G. Wilson, font un travail remarquable. D'autant plus que ce dernier est familier avec le Japon, au moins au travers de sa pratique de l'aïkido. Ce côté est pourtant peu exploité car au final Q et Moneypenny épaulent James Bond et M ne fait en somme que contacter un homme à Ithmus City afin d'arrêter Bond. Au vue de l'enjeu énoncé par M, on aurait pu croire qu'il enverrait l'armada à ses trousses. Sa défection sert surtout la mécanique scénaristique. Le temps effectif où Bond se joue de son ennemi est assez court et aurait mérité d'être plus exploré. Ceci dit l'histoire reste une belle enquête comme dans les romans de Fleming suivi d'une intrigue complexe inspiré de ce qui se fait de mieux dans le cinéma nippon.
Le véritable écueil du film se situe plutôt dans sa mise en images et sur certains points, son montage.
Certaines scènes sont montées avec des plans qui trainent un peu trop en longueur et qui de ce fait, ralentissent le rythme de l'histoire. Une impression de tiédeur se dégage en effet parfois du film. Comme si la réalisation n'avait pas osé poussé plus loin le côté sombre, vengeur et violent. Ce qui est étonnant car d'une part on trouve ici les morts les plus atroces jamais vu dans un James Bond (les gens y meurent empalés, mangés par des requins, immolés, concassés, ou électrocutés. Faîtes votre choix) et d'autre part les scènes d'action en elles mêmes sont réussies et variées. Celle qui voit 007 se sortir d'un combat sous-marin en harponnant un hydroglisseur est un véritable plaisir et le film vaut la peine d'être vu rien que pour elle.


Le fait le plus marquant à ce propos, celui qui tranche avec le côté sombre est la fin qui présente un Félix Leiter prêt à aller pêcher alors qu'il lui manque une partie d'une jambe et d'un bras ! Il a de plus, un air un peu trop gaillard pour quelqu'un qui vient de perdre son épouse ! Ce pseudo-happy end sonne forcé et est en contradiction avec le reste du film. On se rend compte alors que l'histoire a perdu de vue un peu le point de départ, le désir de vengeance. Et comme cela arrive à la fin du film, on ne peut s'empêcher d'avoir un petit goût d'inachevé.



Une belle partition … des acteurs principaux



Le casting est inégale mais Timothy Dalton nous offre une prestation parfaite et est probablement l'acteur qui se rapproche le plus du Bond des romans et du roman Vivre et Laisser Mourir plus spécifiquement, qui est d'ailleurs repris en partie ici. Et pour cause car avant de jouer le rôle il avait tenu à lire tous les livres pour mieux s'imprimer du personnage dans l'opus précédent, Tuer n'est Pas Jouer. Le plus frappant sont les moments de discussions entre Sanchez et Bond. Les deux acteurs, qui s'entendaient semble t-il à merveille et réciter du Shakespeare ensemble pour égayer une de leurs soirées, sont en phase et il y a une alchimie certaine entre eux. Robert Davi nous sert une belle prestation tout au long du film. Sous l'amitié naissante entre les deux hommes, fausse pour l'un, vrai pour l'autre, on sent poindre la déchéance de Sanchez. Il y a un côté tragique, mythique. Pourtant il semble que la production avait quand même fait le choix de laisser de l'humour et de ne pas pousser plus loin le côté obscur. Il n'est certes pas là pour faire rire franchement. C'est plutôt froid, de l'humour sarcastique et noir. Comme si le film contenait un potentiel non réalisé, surtout avec un acteur de la stature de Timonthy Dalton, que ce soit ici ou dans l'épisode précédent. Il arrive tout de même à trouver des espaces de jeu ou sa manière de se déplacer et son visage dur et fatigué donne vraiment l'impression d'un homme sous tension, prêt à se venger. La scène ou il infiltre le bateau, habillé en combinaison noire est en est le plus bel exemple. Dans celle-ci, il dégage un magnétisme certain.
Quant aux Bond girls, si la première, Carey Llowell s'en sort avec les honneurs, la seconde Talisa Soto est au niveau du prix de beauté truqué gagné par son personnage …
Les seconds rôles sont rarement bons mais c'était souvent les cas dans ce genre de productions dans les années 80. En effet il y a plusieurs plan d'insert dont l'utilité est discutable et certains seconds rôles comme celui d'Ed Killifer ne sont pas à la hauteur du reste du casting. Nous avons même droit à un jeune Benicio del Toro dans le rôle du bras droit de Sanchez. Lui non plus n'a pas un talent transcendant. D'ailleurs cela n'a pas vraiment changé, il suffit de jeter un coup d'œil à Sicario pour s'en convaincre.
Dans un autre genre de partition, la musique n'est elle aussi pas à la hauteur des autres bandes originales car Michael Kamen, plus habitué aux partitions simples et directes de l'Arme Fatale, ne semble pas arriver à toucher la grâce d'un John Barry ou même l'énergie d'un Bill Conti. Au cinéma c'est pire car le son est meilleur et on peut se lasser du côté tonitruant et plutôt répétitif de la bande-son. Certaines compositions ressortent tout de même comme celle nommé sobrement Pam.
La chanson titre quant à elle est une réussite même si elle sonne très année 80 et les paroles, accompagnée par timbre de Gladys Knight, annoncent l'ambiance vengeresse du film. Le générique est d'ailleurs évocateur et violent, et est le dernier du génial Maurice Binder, autre excellente raison de voir cet épisode.



Un James Bond pour les fans et les spécialistes



Au fond le film plaira aux experts en Bonderie pour plusieurs choses : son côté dur, son historie qui tente d'adapter mieux le roman *Vivre et Laisser Mouri*r que ne l'avait fait le film du même nom, la profondeur politique ancrée dans on époque comme Fleming l'était dans la sienne. D'ailleurs l'acteur qui joue Felix Leiter reprends ici le rôle, fait unique dans l'histoire de la série. Et la première fois ou il l'avait c'était dans … Vivre et Laisser Mourir, le film. Il y a en réalité des clins d'œil partout, dont certains difficiles à repérer comme le bruit des balles tirées par Sanchez sur le camion citerne qui jouent le thème de James Bond !
Il montre aussi les rapports entretenus entre les trafiquants de drogue et le pouvoir. Ceci à travers les discours et les blagues de Sanchez. Il pousse même jusqu'à montrer un président fantoche qui entre chez Sanchez sans gardes du corps, ni collaborateurs ! Comme une blague pour montrer que, déjà, il n'y a plus d'homme de pouvoir au sens de l'homme politique gouvernant, simplement l'utilisation de celui-ci comme homme de paille qu'on paie généreusement. Cela confine au ridicule, mais n'est-ce pas une hyperbole exacte de certains régimes ?
Toujours pour les fans, on voit Q sur le terrain et de belle manière. On le voit beaucoup mais c'est plus subtile querella le sera dans Spectre et son style à la Mission Impossible. Il a un rapprochement entre les deux hommes presque familial, d'ailleurs ils font tous deux des blagues sur le thème de la famille. Là aussi le film va à contre-courant de la série et prend un risque. Il montre un Bond qui a de l'empathie, de l'amitié, plus proche une nouvelle fois des romans.
Le potentiel de ce film, comme écrit plus haut, aurait permis, pas de tuer, mais bien de faire prendre à la franchise une nouvelle direction amorcée dans le film précédent. Ce potentiel pouvait même se muer en un des fleurons de la série. C'est pourquoi on en ressort content mais avec une pointe de frustration. D'ailleurs qu'aurait été le film suivant si Dalton n'avait pas fini par quitter le rôle après des années d'attente ? Impossible de le savoir. Il est cependant à remarquer que Casino Royale et les films avec Daniel Craig dans leur ensemble, reprennent l'entreprise ou elle s'était arrêtée en 1989. Evidemment ce n'est plus la même époque, le même acteur. C'est une filiation en filigrane.
Cette critique touche à sa fin et se terminera par une conclusion personnelle et même un peu sentimentale, une fois n'est pas coutume. Premier Bond vu au cinéma, entouré de proches et revu au cinéma récemment en version restaurée avec l'un deux, il continue d'avoir une place particulière dans mon cœur. C'est probablement avec ce film que ma passion pour l'agent 007 s'est ancrée en moi et a peut être également tout simplement démarrée. Même si je m'applique à être le plus objectif dans chacune des mes critiques, ce film transcende les notes de ce site, de tous les sites, magazines ou fanzines. Dans mon cœur tout au moins. Ma note pour ce Bond en réalité ? ♥♥7

Fiuza
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes James Bond 007, Les meilleurs James Bond, Les films vus le plus de fois, Top 21 James Bond 007 et Les films qui ont changé votre vie

Créée

le 28 févr. 2016

Critique lue 564 fois

4 j'aime

Fiuza

Écrit par

Critique lue 564 fois

4

D'autres avis sur Permis de tuer

Permis de tuer
Docteur_Jivago
9

A History of Vengeance

Rien ne va plus pour l'agent Bond et cette 16ème mission, qui n'en est pas une dictée par le gouvernement de sa majesté, est placée sous le signe de la vengeance. Exit les multiples gadgets, l'humour...

le 12 nov. 2014

46 j'aime

11

Permis de tuer
Gand-Alf
7

With a vengeance.

Cas unique à ce jour de James Bond interdit aux moins de douze ans chez nous, Permis de tuer permet à Timothy Dalton d'endosser pour la seconde et dernière fois le costume de l'agent 007. Fort...

le 9 mai 2015

36 j'aime

3

Permis de tuer
LeTigre
8

Une vengeance très personnelle pour James Bond !

Très franchement ! Je tiens à vous le dire, je commençais en avoir ras-le-bol de cette franchise qui se dégradait minablement depuis un bon moment. Chaque film me semblait de plus en plus...

le 21 avr. 2021

28 j'aime

18

Du même critique

Thor: Ragnarok
Fiuza
4

On frôle la ca-Thor-strophe

Avertissement : ce texte peut contenir certaines révélations sur l'intrigue du film Thor 3 est un film qui ne manque pas d’humour. Et c’est là le principal problème. En effet, pratiquement chaque...

le 25 oct. 2017

60 j'aime

4

Westworld
Fiuza
5

A l'Ouest d'Adam … rien de nouveau

Après l'épisode 1 (note 8) Jonathan Nolan revient avec une série où lui et son équipe développent les thèmes qu'il aimait déjà dans Person of Interest. Intelligence artificielle, pouvoir caché,...

le 8 oct. 2016

39 j'aime

16

Mademoiselle
Fiuza
1

M*rdemoiselle 

Propos liminaires Double avertissement à mes aimables lectrices et lecteurs : ce texte est plus un avis argumenté, un genre de tribune, qu'une analyse critique. J'ajoute que des parties de l'œuvre...

le 22 nov. 2016

32 j'aime

22