S'il existe bien un thème universel, inoxydable et intemporel, c'est bien celui de l'amour fou. Vous savez, cet amour majuscule qui permet de soulever des montagnes et sur lequel, même la mort ne semble pas avoir de prise. Tristan et Iseut, Roméo et Juliette... bref, on connaît ! Seulement si le thème semble inamovible, son traitement, lui, ne l'est pas vraiment et demeure bien souvent représentatif de son époque. Ainsi, lorsque Peter Ibbetson sort sur les écrans, il s'inscrit immédiatement dans la lignée des grands mélodrames de l'époque du muet et sa filiation avec l’œuvre de Borzage paraît être des plus évidentes. Seulement, même si les deux films ne sont séparés que de quelques années, l'époque de Seventh Heaven semble déjà révolue ! La faute au parlant qui est passé par là et qui tend à ringardiser cette représentation de l'amour pur et candide. Presque démodé en 1935, Peter Ibbetson est un film facile à détester, surtout à notre époque suintante de cynisme...ses défauts sont tout trouvés : trop gentil, trop violoneux, trop mièvre ! Pourtant, si on prend la peine de le regarder, on remarquera que seule la scène du décès de la mère est porteuse d'un sentimentalisme fort, le reste demeurant finement romantique, mélancolique voire un peu humoristique. Mais surtout, ce qui marque les esprits, c'est cette poésie de l'image qui conjugue admirablement bien lyrisme romantique et perception onirique.


La belle réussite de Peter Ibbetson, on la doit en grande partie à Henry Hathaway. L'homme, qui était plus habitué à exercer ses talents pour des films d'action ou d'aventures, se montre parfaitement à l'aise avec ce matériau hautement romantique. Avec lui, le sentiment amoureux est doté du même pouvoir et de la même force que chez Borzage, c'est une émotion pure, surréelle ! Mais contrairement aux films de son aîné, ce sentiment ne pourra s'exprimer pleinement dans le monde réel, celui-ci étant trop sale pour tant de pureté, trop étroit pour tant de grandeur. La relation entre les deux héros, Peter et Mimsey, n'étant idéalisée que dans le rêve, cela permet à Hathaway de décrire un univers réaliste quasiment dénué de tout pathos et où priment coups durs, regrets et séparations.


C'est d'ailleurs une double séparation qui est à l'origine de tout et qui va plonger deux êtres dans la solitude de la vie : c'est celle d'un fils qui perd sa mère, mais c'est également celle qui touche deux enfants de dix ans qui vivent leurs derniers instants de pur bonheur, ou de "bonheur pur". Durant cette scène inaugurale, Hathaway se laisse aller à la candeur et à la naïveté, mais cela se justifie par le point de vue adopté qui est celui de l'enfance. De ce moment très fort, déchirant, on en retrouvera la saveur uniquement vers la fin, lorsque Peter, alors adulte, se retrouve emprisonné pour meurtre. La séparation des êtres apparaît une nouvelle fois éminemment cruelle, faisant basculer définitivement le réel dans le cauchemar, justifiant ainsi la fuite des amoureux vers l'univers onirique. C'est beau, c'est touchant, c'est suave, peut être un peu trop mais qu'importent les quelques excès lorsque la mise en images est tellement somptueuse.


Mais avant que l'univers onirique ne triomphe, Hathaway nous aura fait partager la grande solitude de Peter, son errance à Paris, son immense mélancolie qu'il traîne comme un fardeau : le monde réel paraît vide de sens, futile, morne, oppressant voire dangereux. Cette impression néfaste est d'autant plus marquante que les acteurs principaux, Gary Cooper et Ann Harding, sont tout en justesse et en retenue. L'amour, ainsi continuellement entravé par le réel, ne pourra éclore à l'écran qu'au détour de quelques fulgurances (ce sont des allusions aux rêves qui apparaissent dans un milieu où l'univers impressionniste domine), avant de progressivement le coloniser. Rêve et réalité sont filmés de la même manière, Hathaway, en rendant floue la frontière entre les deux mondes, permet à l'amour irréel de devenir enfin réalité.


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le 21 août 2023

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