Peter Pan
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Peter Pan

Long-métrage d'animation de Clyde Geronimi, Wilfred Jackson et Hamilton Luske (1953)

Un de mes plus vieux films cultes, si ce n'est le plus vieux.


Je me rappelle encore du jour où, en 1996, mes parents ramenaient la VHS à la maison (version remastérisée avec nouveau doublage, meilleure image et tout), avant de la re-regarder sur la vieille télé familiale de l'époque dont l'écran était gris, bien convexe et mal cadré.


Rien que les bandes-annonces, pubs et autres courts-métrages de l'époque valaient le déplacement : vous vous souvenez de la pub où l'on voit la Triade sacrée (la souris, le clébard et le canard) arrivant à Disneyland sur des nuages volants ? Des sketchs du Muppet Show avec Kermit la Grenouille et Miss Piggy ? Ou encore des bonus inédits tels que la chanson du crocodile en version karaoké (série "Chantons ensemble" si je me souviens bien) ?


Autant de choses qui n'étaient rien comparées à l'aventure en elle-même, toute en couleurs et en musiques, où chaque élément, lieu, personnage, y compris le plus secondaire (ce sympathique équipage de pirates chanteurs en tête, bien évidemment) suscite émotion et fascination dans un souci du détail dont seul Disney a le secret.


Outre la nostalgie avec un grand "N" qui est évidemment le maître mot de notre amour pour ce film, l'on se rend compte, comme de nombreux critiques, à quel point sa double-lecture nous avait d'ores et déjà marqué étant enfant.


Car que serait un film culte sans une controverse digne de ce nom ? L'enfant qui a refusé de grandir en est le parfait exemple : son personnage éponyme, pour commencer, est aussi détestable qu'enviable. D'un côté, on s'offusque de son attitude de sale gosse égocentrique et immature, qui s'amuse au dépens des autres et prend plaisir à humilier son ennemi. De l'autre, on ne peut que rêver de posséder son don extraordinaire : s'élever dans les airs et voyager à travers les étoiles à la moindre pensée agréable, rien que ça ! Ne parlons même pas du personnage de Clochette, sexualisé à outrance selon les goûts de l'époque, ou des joyeux peaux-rouges dont l'image stéréotypée fut jugée offensante pour les Amérindiens à la sortie du film.


Bien que n'ayant pas encore (honte à moi) lu l'œuvre originale de J.M. Barrie, il semblerait que celle-ci ait été, dans son ensemble, grandement respectée. Hormis les dialogues (mémorables), l'ambiance générale et quelques éléments rajoutés par Disney (j'ignorais qu'il s'agissait notamment de la toute première apparition du crocodile !) ce Peter Pan demeure assez fidèle au matériau d'origine, délaissant la noirceur et la psychologie pour l'aventure et le burlesque ; ce qui n'empêcha pourtant pas le grand Walt lui-même de juger "trop froide" sa version finale de l'enfant volant ! Rendez-vous compte...


Dans cette optique, il est également amusant de constater que c'est là l'un des rares Disney où l'on se prend réellement d'affection pour le méchant au point de le préférer quasi-intégralement au héros. Non seulement le manchot le plus célèbre de la fiction compte parmi les plus charismatiques antagonistes de Disney, mais la complexité de son personnage (un moment l'élégance incarnée, l'instant d'après la psychose à son paroxysme, plus tard encore le ridicule personnifié...) et la cruauté de son sort (servir de plateau-repas express à un sac à main géant aux dents acérées, quelle horreur!) font qu'on s'en voudrait presque de s'esclaffer lors des séquences où l'infortuné marin est humilié à chaque nouvel échec face à son adversaire, avant de se lancer dans un record de natation à faire rougir Michael Phelps pour échapper à son funeste destin.


Et que dire de son âme damnée, cousin anthropomorphique du Lapin Blanc, archétype du serviteur maladroit et bedonnant dont la moindre gaffe est un pur régal pour les zygomatiques : on retiendra entre-autres un écho trompeur, une bouillotte un peu trop chaude, un coup de marteau bigrement retentissant ou encore une séance de rasage particulièrement hilarante, où le marin benêt confond le menton de son patron avec l'arrière-train d'un infortuné et malavisé goéland.


Il m'aura fallu du temps pour donner du crédit aux personnages féminins, qui de prime abord manqueraient de transformer ce film en acte de guerre à l'encontre de toutes les féministes de l'univers. Pour faire simple, Wendy est une cruche niaise qui passe le plus clair de son temps à demeurer spectatrice et à crier "PETEEEEER !", Clochette une garce narcissique aveuglée par la jalousie, les Sirènes (sous des apparences à se damner) de parfaites pétasses subaquatiques et Lily la Tigresse, avec son air suffisant, mériterait quelques bonnes baffes.


Fort heureusement est venue l'observation suivie de son amie réflexion: Wendy accepte de suivre Peter pour échapper au triste souhait d'un père pressé de la voir grandir. Son séjour au Pays Imaginaire sera son voyage initiatique, à l'issue duquel elle gagnera en maturité. Elle s'indigne notamment du comportement déluré du héros de ses histoires, apprend la dure place des femmes dans une tribu amérindienne, enseigne la valeur d'une mère à une bande d'orphelins habitués à vivre sans règles et finit par accepter sa destinée, contrairement à un Peter figé à jamais dans ses rêves et ses frasques d'enfant. Clochette trouve la rédemption dans une magnifique scène où son protégé lui avoue qu'elle est "plus précieuse à ses yeux que ne peut l'être tout l'or du monde", Lily fait honneur à son rang en restant ferme et muette face aux menaces du Capitaine Crochet. Quant aux Sirènes, on en retiendra simplement qu'il y a un monde entre rêve et réalité !


Impossible enfin d'oublier ce final imparable, où un père et mari aimant, entouré de sa famille, se remémore son enfance à la vue d'un bateau pirate voguant au loin dans les nuages, vision émouvante de la jeunesse restée intacte malgré les années. Certains de ma génération se souviendront d'avantage du Chapelier et de sa tasse de thé, sortis deux ans auparavant, comme premier socle de référence. D'autres comme moi préféreront toujours le bonnet vert à plume rouge accompagné d'un air de flûte aux trois notes insolentes.


Ils se souviendront de la silhouette furtive et farfadesque se découpant dans la nuit sur les toits de Londres, et de ses yeux moqueurs éclairés par une petite pin-up luminescente aux ailes de libellule. Ils se rappelleront le regard abasourdi de celle-ci, qui, prise soudainement d'un narcissisme extrême, réalise que ses jolies cuisses ont pris un peu de volume. Ils reverront cette ombre espiègle et vive, prête à tout pour échapper à l'emprise de son propriétaire. Ils se rappelleront que, bien que bavardes, les jeunes filles sont aussi étonnamment accueillantes et serviables envers les inconnus qui entrent par la fenêtre la nuit. Ils se rappelleront qu'une fée est le genre de créature dont il vaut mieux éviter de s'attirer les foudres. Ils se rappelleront que pour voler, il suffit de pensées d'aventure et d'une pincée de poussière d'atmosphère.


Et surtout, ils n'oublieront jamais que "Rêver sa vie en couleur, c'est le secret du bonheur".

Créée

le 19 sept. 2016

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