Walt Disney semble apprécier la cruauté inhérente aux contes de fée, ces aspects sombres, et effrayants parfois, sans lesquels le bonheur final de ces vieux récits n’aurait pas la même saveur de soulagement intense. Le choix d’animer le livre de Carlo Collodi – que je n’ai jamais lu – et le traitement réservé à l’histoire, ici condensée d’effroi, vont dans ce sens. Le premier plan, ouvrage ouvert de Pinocchio derrière lequel sont rangés, en attendant leur tour, Peter Pan et Alice in Wonderland insiste assez sur la ligne du studio pour comprendre que c’est à travers ces légendes ou



rêveries merveilleuses, rythmées d’angoisses



passagères, que l’auteur compte apporter sa pierre à l’édifice moral américain. Pinocchio, second long métrage d’animation des studios du maître n’hésite ainsi pas à mettre en scène de noires et terrifiantes séquences pour s’assurer de l’impact du message.


Geppetto, vieil artisan solitaire, fabrique des mécaniques horlogères, des jouets de bois et des marionnettes. Sous l’œil bienveillant du grillon vagabond Jiminy Cricket, le voilà qui apporte les ultimes touches au visage de son nouveau pantin de bois dans le capharnaüm bariolé et régressif qui lui sert de logis et d’atelier. Particulièrement ému par sa création, il fait le vœu en se glissant au lit de la voir se changer en vrai petit garçon. Un vœu entendu par la fée bleue.



Prouve-moi que tu es brave, toujours franc, loyal et obéissant, et
un jour, tu pourras devenir un vrai petit garçon.



Le petit gars de bois fait tout le contraire : sur le chemin de l’école le voilà alpagué par deux inconnus et bientôt, entre dilettante et mensonges, il part au théâtre de Stromboli, s’amuse avant de fuir puis de se laisser de nouveau berner par les deux mêmes brigands et embarquer pour l’ile enchantée, dernier avertissement, où il joue toujours plus les mauvais garçons. Pinocchio n’écoute pas, ment, fume et boit, s’amuse et se laisse aller inconséquemment au danger.


L’animation est splendide de bout en bout. Le dessin précis, les décors riches et les personnages, humains et animaux mélangés, parfaitement caractérisés. Les méchants sont particulièrement réussis, bouilles grasses, gueule de renard ou de chat vicieux. Leurs transformations hallucinantes expriment la colère, la malice ou l’avarice avec



une drôle de justesse terrible,



avilissante. Que ce soit dans les passages obligés des productions du studio comme les mouvements musicaux, cette danse initiale entre Geppetto et le chat Figaro, autant que dans les séquences sombres du récit, les menaces de l’île enchantée ou la furie de Monstro la baleine, l’animation fluide et fine, toujours emportée, mène



une narration claire et empreinte de vie.



Pleine des innombrables possibilités de l’époque et léchée avec minutie et précision pour dire à chaque moment l’ambiance générale du décor autant que l’insouciance du petit gars de bois.


En suivant un scénario simple et violent, les mésaventures d’un petit gars désobéissant et leurs conséquences effrayantes et dramatiques, Walt Disney interroge les (jeunes) spectateurs sur la



notion de conscience.



En matérialisant cette petite voix que personne ne veut entendre dans le personnage de Jiminy Cricket – créant là le premier duo du genre d’une longue série à venir – tout en laissant le pauvre grillon sans prise aucune sur les actions de son protégé, le cinéaste rappelle aux parents que tout enfant n’écoute qu’à moitié et qu’il doit faire ses propres erreurs pour espérer comprendre ce qu’ils tentent de lui transmettre. En accablant systématiquement Pinocchio de désagréments, d’embûches et de déceptions, il dit dans le même temps aux enfants que les libertés qu’ils prennent inconsidérément ont un prix, parfois horrible, à payer : le coup du nez qui s’allonge, resté dans la culture et l’éducation populaires, ne dit rien d’autre. Tout le corps du film ressemble au final à



un cauchemar infantile,



et l’apothéose de rage et de peur primale qui explosent au cours de la séquence dans le ventre de la baleine vient porter l’effroi à son paroxysme grâce encore à une animation hors norme, puissante.


Walt Disney enfonce le clou en continuant de privilégier les adaptations populaires de grands contes reconnus. La ligne est claire : les possibilités de l’animation dans les libertés créatrices qu’elles apportent servent à jouer du contraste entre l’innocence niaise d’un personnage et l’horreur omniprésente du monde dans lequel il évolue. L’auteur apprécie de mettre ses héros en périls extrêmes, avec toujours l’idée de développer



une morale simple et claire.



Pinocchio est plus fait de cauchemars que de rêve, mais son humanité malgré tout réside dans l’évasion et dans l’imagination.
Le petit gars ne l’apprendra qu’en se confrontant, dangereusement, au monde.

Créée

le 14 janv. 2017

Critique lue 316 fois

1 j'aime

Critique lue 316 fois

1

D'autres avis sur Pinocchio

Pinocchio
Hypérion
7

Un dessin animé traumatisant mais non dénué de charme

Pinocchio, c'est un peu l'anti prototype de "l'esprit Disney" tel que nous le concevons aujourd'hui. Souvenons nous que Walt Disney est encore aux commandes de à cette époque, que son studio est...

le 23 mai 2012

65 j'aime

12

Pinocchio
Walter-Mouse
10

Victime de guerre

Après le triomphe mondial de Blanche-Neige et les Sept Nains, il ne faut pas attendre longtemps pour que Walt Disney et ses artistes décident de sortir leur deuxième Grand Classique en salles:...

le 17 févr. 2016

48 j'aime

15

Pinocchio
Gand-Alf
9

Boyhood.

Le premier long-métrage d'animation des studios Disney ayant connu un colossal succès, critique comme public, il est donc décidé de poursuivre dans cette voie, en adaptant cette fois le classique de...

le 4 mars 2015

40 j'aime

10

Du même critique

Gervaise
Matthieu_Marsan-Bach
6

L'Assommée

Adapté de L’Assommoir d’Émile Zola, ce film de René Clément s’éloigne du sujet principal de l’œuvre, l’alcool et ses ravages sur le monde ouvrier, pour se consacrer au destin de Gervaise, miséreuse...

le 26 nov. 2015

6 j'aime

1