Adapté du livre éponyme de Roberto Saviano, l’homme derrière Gomorra, Piranhas de Claudio Giovannesi est un récit intense mêlant naturalisme et conte mafieux. Une démarche qui s’inscrit dans un courant social désireux de genre et très en vogue dans le cinéma italien contemporain.


Le film, déjà auréolé de l’Ours d’argent – Prix du scénario – à la Berlinale et du Prix du jury au Festival du Film Policier de Beaune, est centré autour de Nicola (Francesco Di Napoli) et ses amis, une bande de jeunes adolescents qui se balade en scooter dans les rues étroites napolitaines. Ils observent les parrains de la Camorra à l’œuvre venant racketter les riverains. Et entre fascination, appât du gain et volonté d’émancipation pour faire comme les grands, il n’y a qu’un pas…


« Petit frère n’a qu’un souhait, devenir grand »*


Le feu et le sang. Des corps encore imberbes, un gigantesque feu dans un terrain vague et une jeunesse qui tourne autour tel des supporters Azzuri. Dès l’introduction emplie de symbolisme, Piranhas, saisit son sujet à bras le corps. Ce sera un film sur une jeunesse incandescente, inscrite dans les traditions locales et désireuse de pouvoir.


Avec son troisième film, Claudio Giovannesi poursuit sa quête naturaliste en racontant l’histoire des « Baby gangs » notamment dans cette volonté primaire de saisir le réel dans son matériel le plus vif. La caméra est à hauteur d’homme, souvent portée à l’épaule, proche des corps et des visages. Le but est d’incarner plus que d’observer. Cette jeunesse est à l’œuvre, allons la scruter. Le film évite alors l’écueil de la thèse sociologique explicative, du sermon hautain qui chercherait à se justifier. Il faut faire du cinéma.


Et pourtant, et c’est là l’une de ses grandes forces, le film refuse le jugement et épouse avec beaucoup de ferveur les conditions de vie modestes des familles vivant dans les quartiers napolitains. Il y a un sens du détail dans la retranscription de la vie, à la fois intime et collective, qui est très fort. L’on comprend rapidement alors que cette délinquance émerge des conditions de vie, des inégalités, des injustices et d’une reproduction sociale très forte. L’Italie va mal, socialement et économiquement et Piranhas en devient un témoin supplémentaire. Le film peut s’appuyer sur la solide direction d’acteurs, comme toujours chez Giovannesi.


Le rapport entre adolescence et criminalité s’introduit par l’urgence de grandir, de ne pas rester inactif, de faire comme les grands, de protéger sa famille jusqu’au refus de l’insouciance. Jusqu’à la fin de l’innocence. Mais là encore, le long métrage nous rattrape par cette innocence intrinsèque à l’enfance : on se dispute avec son petit frère pour des gâteaux, on joue aux jeux-vidéos, on drague la jeune fille du quartier. Et lorsque la violence les rappelle, c’est à travers des procédés visuels et sonores, une fois encore diablement réalistes, notamment dans la sensation glaçante de voir une arme à feu dans les mains de jeunes de 15 ans. Nous ne sommes pas à Hollywood…



« Sur le canon de mon arme, vos noms s’inscrivent, incandescents ».



« À 13 ans, il aime déjà l’argent, avide mais ses poches sont arides, alors on fait le caïd… »*


Avec son volet naturaliste, Piranhas joue également sur un autre tableau, celui de la fable mafieuse – genre incontournable dans l’histoire du cinéma. En jonglant entre naturalisme et fresque baroque, Giovannesi s’échappe malicieusement de la chronique réaliste sur des adolescents en perdition, déjà exhumée à de multiples reprises.


Le film se joue des codes d’honneur, transgresse la réalité pour apporter ce souffle romanesque qui donne de l’air et de l’épaisseur au film. Jusqu’à se prendre rapidement au jeu, rentrer dans du pur cinéma qui nous aspire dans cette spirale infernale de violence.


Nouvelle vague Italienne


Piranhas semble s’inscrire dans une nouvelle génération de cinéastes italiens à l’œuvre depuis une petite dizaine d’années. Celle d’un cinéma réaliste, social et populaire, ouvert sur le monde et qui, en digne héritière des Visconti, Fellini et tuttiquanti, s’échappe souvent vers le conte, la romance, la fresque.


Incarnée d’abord récemment par Daniele Luchetti (La Nostra Vita) et Matteo Garrone (Gomorra, Dogman), elle a donné lieu à de véritables petites pépites telles que Il Figlio, Manuel de Dario Albertini et Cœurs purs de Roberto De Paolis, sortis en 2018, ou encore Fiore Gemello de Laura Luchetti ou Il Vizio Della Sperenza de Edoardo De Angelis, inédits en France. Il ne suffit pas de chercher très loin pour voir que dès ses premiers films Claudio Giovannesi tendait vers ce cinéma à la fois social et onirique. À l’image de Fiore (2017), une romance libre entre deux adolescents placés en prison pour mineurs. La bonne nouvelle, c’est qu’une génération a soif de cinéma et se fait un témoin précieux de l’Italie contemporaine.


*Extraits de « Petit Frère » d’IAM.


Article à retrouver sur Le Mag du Ciné

JoRod
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le 15 juin 2019

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