Que font les capitaines pirates s'ils tombent sur un trésor qui les dépassent, c’est-à-dire trop énorme pour qu'ils sachent quoi en faire ? La légende dit qu'ils l'enterrent (généralement là où ils l'ont trouvé, car il est trop lourd pour être déplacé) et Basta moussaillons !, une croix dans le sable suffira, qui s'effacera, et ils partent vers de nouveaux horizons. C'est comme ça.
Le besoin ne se fait jamais sentir de revenir, le pirate vit du pillage, pas de l'or des pillages, Basta moussaillons ! et on ne revient pas, mais l'un des moussaillons à force dessine des cartes sur lesquelles en dernier lieu, entre divers détails minutieux, il fait toujours une croix bien nette, noire et grasse, à l'encre de chine du capitaine, dans les quartiers du capitaine lui-même, lorsque celui-ci est sur le pont à donner des ordres. Basta moussaillons ! Hissez-moi ci ! Bordez-moi ça ! Et le perroquet dans la loge fait sursauter le moussaillon assis au bureau de son capitaine, Hissez-moi ci ! Bordez-moi ça ! qu'il dit depuis son perchoir, comme pour se moquer. « Hissez-moi ci ! Bordez-moi ça ! Répète-t-il.
_Mais tu vas te taire, oiseau de malheur ! Tu vas me faire repérer…
_Oiseau de malheur !
_Chhh !
L'oiseau l’a fait déraper dans sa croix, dont le deuxième bâton s’allonge maintenant sur presque toute la diagonale de la feuille, perpendiculairement au premier bâton impeccable dans le coin en haut à gauche. Pourquoi pas, se dit le moussaillon en tendant la carte devant lui pour mieux la voir de son seul œil valide, ça brouille les pistes. « Ça brouille les pistes ! » crie le perroquet, comme s'il lisait dans ses pensées.
De retour sur le pont, il reprend sa brosse et il frotte sec, personne n’a remarqué ses cinq minutes d’absence, et l’on s’apprête à attaquer un galion anglais, alors le capitaine à l'œil vers le large. Pendant qu’il frotte, le moussaillon fait le total : 8 cartes, qu’il a dans la fausse poche intérieure de sa veste. Et il estime ce que cela lui rapporterait de tout déterrer… il empile des pièces d’or et des bijoux en imagination, des grands tas dix fois plus grands que lui, et ça devient une obsession.
Un soir, le rhum le trahit, il en parle à un autre sous-fifre. Le lendemain on le fouille, on trouve les cartes, et le voilà sur la planche.
Il appartint au capitaine de déchirer les papiers bariolés, et de les disperser aux quatre vents devant tout l'équipage, pour se prévenir des mutineries qu'aurait pu inspirer la simple existence de tels indices, qui incitent à l'empannage.
Le moussaillon eut beau plaider son innocence, comme quoi tout cela n'était qu'un rêve de gosse, le capitaine ne fut pas dupe, demanda à son moussaillon s'il avait l'air d'une buse, et le moussaillon fut jeté à l'eau et noyé ou mangé par les requins.
(« Est-ce que j'ai l'air d'une buse ? » entendait-on ricaner le perroquet depuis les quartiers)
Reste l'ami à qui le moussaillon a tout raconté et tout montré, l'ami qui déjà malgré l'ivresse (le capitaine a payé son coup) se demande où trouver de l'encre de Chine.