Christophe Honoré est un réalisateur atypique dans le sens où il mène ses carrières de réalisateur, scénariste, écrivain et metteur en scène d'opéra où bon lui semble, avec une certaine gravité masquée de superficialité, dans un univers qui est reconnaissable mais qui se régénère à chaque oeuvre. Homme de lettres, les mots sont omniprésents, qu'il soient chantés, parfois déclamés ou interprétés. Nombreuses sont ses références littéraires ou cinématographiques, il y puise quelques illustrations, se les approprie mais jamais ne les trahit. On le dit BoBo, il est simplement un homme qui a connu la souffrance mais qui trouve encore les moyens de s'émerveiller des petites choses, de suivre ses envies, de vivre même si cela doit passer par quelques détours fantasmatiques.


Je l'ai découvert vraiment avec "Dans Paris" (même si j'avais apprécié "17 fois Cécile Cassard" et le téléfilm "Tout contre Léo"), avec ces deux frères si différents et pourtant complémentaires, on ressentait déjà dans cette manière de filmer serré des personnages un peu en marge mais tellement représentatifs des travers de tout à chacun. Un gros coup de cœur à l'époque qui allait se décupler un an plus tard avec "Les chansons d'Amour", film générationnel qui s'il n'a remporté injustement aucun prix à Cannes et fut boudé par le public, a fait son chemin, notamment grace à la magnifique BO d'Alex Beaupain. Une fois, puis deux puis trois... Tant il restait à l'affiche, je le voyais ! Par la suite, je n'ai pas toujours compris ses choix, inspiré en adaptant Mme de La Fayette avec "La belle personne" ou Ovide avec "Métamorphoses", touchant avec l'amour toujours de "Les bien-Aimés", je suis resté plus qu'en retrait face à "L'homme au bain" ou "Non ma fille tu n'iras pas danser" et j'ai vraiment détesté "Ma mère" (vu en DVD) et cette horripilante adaptation de "Les malheurs de Sophie". C'est peu dire que je craignais le pire en allant voir son dernier film avec ce casting improbable et notamment la présence de Deladonchamp, acteur par trop maniériste s'il en est.


Les premières minutes m'ont laissées pour le moins sur ma garde, si le tandem Deladonchamp/ Podalydès fait merveille (j'y reviendrai), cette logorrhée prêchi prêcha était pour le moins stressante jusqu'à son apogée (la conversation téléphonique). Mais à partir de là, le film s'ouvre au spectateur (on retrouve ce mécanisme avec "Dans Paris"). Et quel film !


Christophe Honoré n'a pas son pareil pour jouer aves les sentiments humains, les édulcorer, les dramatiser, voire les galvauder. Il fait fi de ce mécanisme, au profit d'une frugalité d'effets et d'un tact salutaire au sujet, dotant le film d'une idée astucieuse, faire de ce trio un reflet crédible de trois générations de gay, dans leur manière d'être, soulignant ainsi les évolutions des comportements. Entre celui des années 60/70 un peu dans la réserve et la peur du qu'en dira t-on (Podalydès exceptionnel !), celui des 80/90 acteur des années SIDA (Deladonchamp sobre et olympien) et celui des années 90 à nos jours (Lacoste tout en nuances d'intelligence de jeu) plus spontané et quelque part, plus posé. Chacun de ces personnages miroirs est finement construit, et donne cette belle articulation sensible au film. Chaque situation, référence ou action étant ressentie par leur vécu propre.


Cette solide clé de voûte du récit permet à Honoré d'évoquer avec cruauté différents thèmes, l'Amour bien sur, le temps qui passe et les nombreux "si" du doute, l'égoïsme, le courage, l'amitié...


L'action se passe en 1993, le SIDA fait rage, le SIDA fait peur. Il n'est pas bon pour une personne contaminée d'en parler, la plupart du temps cette pathologie confine à l'isolement voire, l'exclusion. Certains comme Jacques (écrivain sans le sous) s'en sortent tant bien que mal n'étant pas dépendant financièrement (sauf d'un père certes décrié mais généreux). Il cachetonne à droite et à gauche ce qui lui permet de vivre raisonnablement au niveau matériel. Jacques est un peu à l'image d'un Guibert (à qui il est rendu hommage avec le mur de photos) fascinant, arrogant mais ingrat. Il est ce que Mathieu aurait aimé être d'où leur amitié quelque peu contrariée. Mais Jean est surtout quelqu'un qui souffre de se savoir condamné. Moins par la maladie que par ce sentiment de ne pas être allé au bout. Ecrire un chef d'oeuvre, briller en société (et ne plus avoir droit à des hôtels 2 étoiles !), être aimer et aimer. C'est pour cela qu'il refuse de s'investir dans toute relation amoureuse, prétextant de ne pas infliger à l'autre ses dernières heures mais bien plus par peur de souffrir. C'est pour cela aussi que ses nuits se font fauves, apportant plaisir immédiat sans avoir les inconvénients de faire des efforts pour construire avec l'autre, au risque d'être reconnu pour ce qu'il est. Honoré botte en touche au niveau du réalisme !


C'est dans ce contexte que Jacques va rencontrer le jeune Arthur, veritable rentre dedans qui va bouleverser ce petit univers si bien cloisonné. Jacques qui se dit "que l'âme fait de plus belles flammes que tous ces tristes culs" se met à douter. Un doute comme il est permis ! Face à ce jeune homme si plein de vie avec qui l'on aimerait finir une vie. Face à cette jeunesse qui n'est plus et qui à cause d'un écart de soir n'atteindra pas la vieillesse. Face à cette vie qui aurait pu être si différente et plus simple s'il n'y avait eu autant de vanité. Face à la mort en avance et que l'on se rend compte qu'il reste tant à vivre... C'est là toute l'essence du film, cette remise en question qui se dévoile pudiquement sous nos yeux et qui nous émeut par sa proximité avec Jacques.


Ce n'est pas tant Arthur qui lui manquera, mais plutôt le regret de ne pas pouvoir vivre cette Histoire qui jusque là s'est refusée... à l'image de ce Marco névrosé qui ne s'est jamais tout à fait livré à lui trop occupé par ailleurs. Jacques a la "mémoire sale" et se demande si "il a déjà aimé" mais nous ne sommes pas dans "Les chansons d'Amour"... "Plaire, aimer et courir vite" est la vraie vie ! Cruelle et souvent injuste ! Arthur, lui a son avenir devant lui... Il s'installera à Paris, fera carrière dans le cinéma, rencontrera amours de plaisir ou les plaisirs de l'Amour, même si au fond de lui Jacques, se serrera à jamais contre son cœur.


Christophe Honoré résume en quelques scènes la complexité de l'être Jacques. D'aucuns trouveront de nombreuses références à commencer par "120 battements par minute" . Les deux films n'ont pourtant rien à voir (cf la pique sur Act'Up). Une scène se rapproche du film de Collard "Les nuits fauves" mais l'univers de Jacques est plus soft. A plusieurs reprises également j'ai pensé au film "Les témoins" mais le film est ici beaucoup moins timoré. Le SIDA est également bien cerné, nous ne sommes pas dans l'invraisemblable bluette d'un "Théo et Hugo dans le même bateau". Ici Honoré filme juste. Avec ses traitements agressifs, ses salles d'attentes et d'angoisse d'hôpital, cette peur au ventre de voir ses T4 s'effondrer...


Et en plus de cette véracité, Honoré filme beau. Nombre de scènes s'imposent aux souvenirs, la rencontre au cinéma, le deuil de l'ami/amant, les soirées insouciantes entre amis, les scènes de sexe très lumineuses et bien sur le final.


"Aimer, plaire et courir vite" est "peuplé de fantômes", ceux d'Honoré mais également pour beaucoup de ceux qui ont connu ces années là. Son film est un hymne au souvenir autant qu'il est à l'amour surtout à la vie !

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le 16 mai 2018

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Fritz Langueur

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