Portrait de la jeune fille en feu est un chemin vers un amour trop pur pour devenir autre chose qu'un douloureux et beau souvenir dans un contexte qui rend impossible sa pérennité. Cette impossibilité de l'amour en dehors d'un court laps de temps le rend de fait infiniment plus intense et vivant. Cela permet à Sciamma de travailler sur une relation se construisant par touches successives dans une première partie plutôt sage où le personnage de Héloïse est d'abord décrit comme mystérieux et lointain. Le film dégage de la répétition des situations entre les deux personnages une progression de leur attraction l'un pour l'autre qui s'exprime par des non-dits, des regards d'une intensité qu'on a rarement l'occasion de voir au cinéma.


Les grands yeux sombres de Noémie Merlant accompagnés de son visage particulier imposent au spectateur d'interpréter, de transposer ses pensées dans celle du personnage. Le jeu particulier d'Adèle Haenel ainsi que ses postures très travaillées dégagent un sentiment particulier qui bouleverse notre façon de regarder cette femme du XVIIIe siècle. Le travail sur le langage, l'articulation, l’intonation, les gestes, tout est d’orfèvre. La première partie du film repose sur une intrigue qui tourne autour du mystère, l'amour est encore bien loin mais le mystère de l'autre n'est-il pas une belle prémisse de l'amour au cinéma ? Ce mystère, c'est cette Héloïse dont on parle sans la voir à l'écran avant un certain temps. C'est ce visage tout d'abord caché puis révélé peu à peu en commençant par sa magnifique chevelure de feu qui doit forcement intriguer Marianne dont nous prenons le point de vue lors de l'introduction du personnage d'Héloïse à l'écran. C'est aussi celui de cette femme qui a sauté de la falaise pour une raison inconnue.


Bien sûr, le film a un certain rapport au féminisme qui est toujours là en toile de fond, que l'on sait être présent sans que les personnages n’aient besoin de nous l'expliquer, de geindre qu'ils leur seraient impossible d'être ensemble aux yeux de tous.


C'est une scène de chant qui marque un point de bascule en milieu de film pour s'adonner enfin complètement au développement de cette romance si intense. La musique a d'ailleurs un rôle formidable dans ce film, Marianne nous rappelle que la musique ne s'explique pas, tout comme la magie du cinéma lorsqu'elle est portée à un tel niveau. Le visionnage du film devient une expérience entièrement subjective, que l'on concentre en soi et pour soi, le cinéma se hisse alors au niveau musical ou poétique. Le Portrait de la jeune fille en feu parle d'Art et de notre rapport à celui-ci, à la peinture qui se doit d'être aussi subjective (Marianne doit mettre une partie d'elle dans le portrait qu'elle fait d'Héloïse), du rapport à la musique, du rapport à la mythologie grecque qu’on s’approrie personnellement en l’interpretant...


La fin du film en est l’apothéose, on touche là au sublime. Comment ne pas se projeter entièrement à travers ce personnage qui ressent l'art intérieurement, tout comme nous, spectateurs ?

Seingalt
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le 18 sept. 2019

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