Avant de commencer cette critique enthousiaste, je tenais à préciser que j'avais (absolument) rejeté La Naissance des Pieuvres, et avais d'ailleurs profité d'une critique élogieuse de Finale de Para One, un morceau majestueux de la bande son - seule récompense pour en avoir enduré le visionnage, pour faire contre ce film une griffe amère, à la hauteur de ma déception. Regardez par vous-même:



J’ai soit dit en passant, regardé la Naissance des Pieuvres d’où a été tirée cette BO : un film sans saveur, froid comme une piscine municipale en novembre, tout entier déterminé à une certaine idée du Festival de Cannes, un film à-côté, manqué, dont le tableau d’une puberté en maillot Speedo® donne à ce film une odeur chlorée, un goût de pédiluve. Je l’ai fait pour vous, vous pouvez donc vivre sans – et bien vivre.



Cependant, il ne s'agit pas ici de m'excuser.


C'est d'abord par le titre Portrait de la jeune fille en feu que je suis entré dans ce film. Il faisait résonner le recueil Les Filles du feu de Gérard de Nerval tout au fond de ma mémoire. Puis, en parcourant mon Sens Critique, j'ai vu pointer tout à côté de l'affiche de ce film, un magistral 10 du très connu Sergent Pepper - mon premier (chronologiquement parlant) éclaireur très éclairé. Voilà ma curiosité
harponnée. Enfin, c'est un ami tout aussi ciné(phage)phile que moi qui, étant allé le voir, m'a immédiatement sommé d'aller me rendre en salles pour contempler ce chef-d'oeuvre romantique. C'est dire, j'ai pris ma place très exactement 19h37 - nuit comprise - après avoir lu son message, son conseil, son ordre.


Quelle ne fut pas ma stupéfaction, mon émotion sincère.


Ce film est absolument moderne sans être moderniste, c'est-à-dire que l'on y retrouve les motifs des revendications contemporaines nécessaires, sans tomber dans l'écueil des réalisations de la quérulence. Il se fait dans la représentation panégyrique du féminin - dans tout ce qui semble le composer. Il s'exerce en costume et dans l'image raffinée des codes de la peinture à l'huile, du romantisme allemand ou classique. C'est d'ailleurs la précellence de Sciamma à l'exercice dans le respect de ces codes sévères, de l'exigence du Beau - où toute erreur, lourdeur, est tout à fait irrémissible - qui finit de donner à cette oeuvre tout ce que je lui trouve, qui me submerge et que je ne sais pas dire.


J'ai cru voir infuser dans l'esthétisme global Caspar David Friedrich et son Le Voyageur contemplant une mer de nuages, Les Deux Cousines d'Antoine Watteau, ou La Marchande d'Amours de Joseph-Marie Vien. Je suis entré dans tous ces tableaux. J'ai été soulevé en poids et en volume. Je me suis immergé complètement dans ce film, dans les sourires cachés d'Adèle Haenel (excellente Héloïse), dans la respiration "par la bouche" de cette impeccable Marianne (Néomie Merlant), dans les pleurs courageux, résilients, de la surprenante Sophie (Luàna Bajrami). J'étais inondé et je ne savais plus si je savais nager. Le dernier plan a fini de me noyer.


J'ai donc émergé doucement, sans jamais pourtant avoir bu la tasse - si l'on épargne les larmes et leur sel du Concerto n°2 en Do Mineur de Vivaldi, et ai quitté la salle.


Quelle découverte, quel tableau.


(10/10)

Kvin-Argant198
10
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le 5 oct. 2019

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Arly Arly

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