Possession
7.2
Possession

Film de Andrzej Zulawski (1981)

La clé est dans l'infinitif "accepter".

Cette critique spoile le film Possession.


Écrit pendant une période d’exil et lors d’un divorce difficile, Possession traite de la séparation d’un couple joué par Isabelle Adjani et Sam Neill. Mêlant habilement l’horreur et le fantastique, avec une teinte de surréalisme, ce film allégorique sur la séparation est aussi horrible qu’il est romantique. Avec son ambiance angoissante et fiévreuse, Possession est un film à l’image du personnage d'Anna, excessif, radical et hystérique. Un film éprouvant, où tout peut arriver. Un film qui saute à la gorge du spectateur, un véritable champ de bataille chaotique, que ce soit au niveau du film lui-même comme de sa production. Une véritable plongée dans la folie, portée par une réalisation tout aussi folle. Une combinaison de grand angle oppressant, de travelling elliptique ou de caméra à l’épaule déstabilisante, des plans souvent débullés, de nombreux regards caméra et un montage dynamique, qui renforce le côté hystérique du film, sont les principaux éléments de la réalisation de Possession. Le film baigne dans une lumière blafarde, est composé essentiellement de bleu terne, de gris pâle et de blanc immaculé, qui renforce son côté maladif. La caméra de Andrzej Zulawski scrute les personnages et est aussi folle qu’eux. Totalement vertigineuse, perpétuellement en mouvement, elle traque la moindre expression des visages et de la folie qui inonde l’écran, nous plongeant au cœur même des crises de folies et des scènes d’hystéries. Enfin, il faut saluer la performance d’Isabelle Adjani. Belle et effrayante à la fois, son jeu est démesuré, hystérique, extrême et envoûtant. Certains la trouverons risible mais elle livre pour moi l’une des plus grandes performances de l’histoire du cinéma, se donnant corps et âme à un rôle plus que difficile.


Cependant, ce qui m’intéresse davantage dans cette critique, c’est d’exposer mon interprétation personnelle sur plusieurs éléments du film. Je n’évoquerai cependant pas l’interprétation que certains se font à propos du régime communiste et la création des monstres car ce n’est pas celle-ci que j’ai envie de détailler ici, bien qu’elle soit toute aussi pertinente et probable que ma propre interprétation. Je part aussi du principe que le film traite de la folie et non de la possession diabolique et, de plus, que tous les événements du film sont à prendre pour vrais, donc qu’aucune scène n’est un rêve, un hallucination ou autre.



Le personnage de Mark



Mark est le personnage principal du film. On est constamment affilié à son point du vue, ou à de rares occasions celui d’Heinrich ou des détectives pour des raisons narratives. Certains décrivent Possession comme une des plus belles histoires d’amour du cinéma car ils voient en Mark un mari aimant qui tente désespérément de sauver sa femme de sa folie, quitte à devenir lui aussi fou. Cependant, je ne suis pas de cette avis. Pour moi, Mark est l’initiateur de la folie d’Anna et il ne s’en rend pas compte. Il est obsédé par sa femme, il est jaloux, pervers avec elle et va jusqu’à chercher à lui faire du mal. Il l’insulte, la frappe, la détruit aussi bien psychologiquement que physiquement tout le long du film. On voit clairement qu’Anna a peur de Mark, qu’il a une emprise trop grande sur elle, et ce avant même les premières crises de folie d’Anna, et c’est selon moi la raison qui la pousse à vouloir le quitter. C’est ce que Mark n’accepte pas. Il suffit de voir comment il réagit quand Anna demande le divorce dans la scène du restaurant au tout début du film. La première crise d’hystérie ne vient pas d’Anna, elle subit la crise, mais de Mark incapable d’accepter qu’Anna veuille le quitter. Mark aime Anna mais d’un amour égotiste. C’est selon moi la raison qui pousse Heinrich à balancer cette phrase obscure à Mark.



La clé est dans l'infinitif "accepter".



Idée soutenue par le personnage d’Helen qui, plus tard dans le film, dit à Mark que pour lui la liberté signifie le mal. Donc que le mal que perçoit Mark dans sa femme, sa folie, n’est en réalité qu’un recherche d’émancipation de la part d’Anna. Le titre Possession n’est donc selon moi pas une référence à la folie qui ronge Anna, et qu’on peut affiliée à une possession diabolique, mais est à comprendre dans son sens premier, c’est-à-dire posséder quelque chose. Toute la quête du personnage de Mark est donc de sauver sa femme de lui-même et non d’elle-même. Une quête de rédemption, d’acceptation, où Mark doit laisser sa liberté à sa femme.



Le personnage d’Anna



Ce qu’on peut déjà noter sur Anna c’est que son nom est un palindrome, ce qui renforce cette idée du double et d’une certaine schizophrénie qui lui colle à la peau, presque comme un annonciateur de sa folie à venir. Comme je l’ai dit plus tôt, Anna cherche à se libérer de l’emprise que son mari à sur elle. Anna est en effet totalement soumise à son mari, et plus généralement aux hommes, comme le montre la scène dans le métro où elle se fait prendre une banane dans son sac de course par un passager sans rien dire. Elle le dit elle-même d’une manière détournée dans le splendide monologue en milieu de film.



C’est pour ça que je suis avec toi, parce que tu dis "je" pour moi.



Le personnage de Mark prive totalement sa femme de liberté et ce n’est qu’au moment où elle devient folle, et où elle finit par tuer des hommes, qu’elle commence à s’émanciper. Ce qu’on peut comprendre dans la suite du monologue.



J’ai lu que la vie privé est une scène, sauf que je joue plusieurs rôles qui sont trop petits pour moi. Et pourtant je les joue quand même. Je souffre, je crois, je suis. Mais en même temps je sais qu’il y a une troisième possibilité comme le cancer ou la folie. La chance ou la folie déforme la réalité, la possibilité dont je parle perce la réalité.



Cette émancipation est d’abord sexuelle avec le personnage d’Heinrich mais ne suffit pas à Anna, d’où la naissance de la créature qui comble, entre autre, sa frustration sexuelle et sur laquelle je reviendrai plus tard. La seule chose qui empêche Anna d’être totalement libérée de l'emprise de son mari c’est Bob, son fils, car elle est forcée de retourner dans l’appartement afin de voir son fils. Bob est l’élément qui empêche la séparation du couple, et il en souffre énormément comme le montre ses terreurs nocturnes. On peut aller jusqu’à se demander si les parents s’occupent de Bob par amour paternel et maternel ou si il est juste un moyen pour les deux parents de se voir, afin d'entretenir cette relation sadomasochiste qu'ils entreprennent. Trop occupés à se détruire, Anna et Mark ne voient même pas le mal qu’ils font à leur fils.



La séparation



Le thème de la séparation est présent dès le début du film. En effet, Possession s’ouvre sur le mur de Berlin et, peu de temps après, un plan montre le mur avec l’inscription "Die mauer muss fallen" qui se traduit en "Le mur doit tomber". Certaines personnes voient dans cet élément la preuve que le film a pour thème sous-jacent la création des montres dans les pays de l’Est mais on peut aussi voir ce "Le mur doit tomber" comme le fait que Mark doit accepter de quitter sa femme, puisque c’est lui qui observe l’inscription, et que le mur est à la fois le symbole de leur relation et de leur séparation inévitable. L’image du Mur de Berlin revient beaucoup dans le film et, il me semble, est présente à chaque scène où Mark satisfait son obsession maladive pour sa femme. Néanmoins, je ne suis pas tout à fait sûr de ce dernier point, qui est donc à confirmer lors de mon prochain visionnage.



Sœur foi et sœur chance, la figure de Dieu et du Diable



Possession est film avec une forte connotation religieuse. Rien que le terme possession renvoi à l’idée d’être possédé par une entité diabolique. Ce thème reste pour autant assez compliqué à interpréter car le film présente cette idée à sa moitié et opère un virage à 90 degrés quasi immédiatement après l’introduction du thème. Ici, les notion de Bien et de Mal sont inversées. Le Mal est salvateur pour Anna puisqu’il lui permet de se libérer de son mari. Anna rejette Dieu, aussi bien symboliquement, avec la scène de l’église, que littéralement, avec la scène du métro, où elle donne naissance à la créature. Il faut donc accepter que dans l’univers de Possession, les notions de Dieu et de Diable existent et sont concrètes, et par extension le Paradis et l’Enfer aussi, avec tout ce que cela implique, ce qui sera un élément clé pour les interprétations suivantes, notamment celle de la fin.



Les doubles



La figure du double est un élément qui revient à maintes reprises dans le film. Au-delà des plans qui se répondent, comme les scènes où Mark attrape les flans de son fils puis de sa femme, qu’on peut voir comme une symbolique ramenant à Adam et Ève, le double se manifeste surtout dans les sosies des personnages. On pourrait peut-être voir dans les doubles une figure de l’anima et l’animus d’Anna et Mark mais je pense plutôt qu’ils sont la représentation que ce font les époux de leur partenaire. Une combinaison de leurs ressentiments et une forme d’idéal qu’ils se font de l’un et de l’autre. Ce qui me fait dire ça, c’est que les doubles sont à la fois dociles et effrayants, et ils ne semblent pas avoir de volonté propre. Je reviendrai plus en détail sur la créature, mais il faut noter que le double d’Anna, Helen, est à chaque instant vêtu de blanc. On peut y voir l’image que ce fait Mark de sa femme avant la rupture, une femme aimante, maternelle et docile dont le blanc des vêtements ramènent à l’idée de pureté. Pureté maintenant perdue, et remplacée aux yeux de Mark par une femme vulgaire, à cause des amants d’Anna. Néanmoins, on peut interpréter que, d’une certaine manière, les doubles sont diaboliques. En effet, les doubles ont les yeux verts, et vu qu’ils ont une connotation biblique assez forte, on peut assumer que la couleur de leurs yeux renvoie à celle du serpent. Si Helen n’est en soit pas diabolique, elle est au contraire un symbole de la sainteté, sa seule présence sur Terre implique la venue de son antithèse, pour un rééquilibrage des forces, c’est-à-dire de l’antéchrist, le double de Mark.



La créature



L’élément qui reste le plus complexe à interpréter dans Possession c’est sûrement cette créature cronenbergienne qui fait totalement basculer le film dans le genre du fantastique. Il est important de noter que la naissance de cette créature, qui naît sous la forme d’une fausse couche comme le dit Anna, ce fait lors de la scène du métro et qu’elle évolue jusqu’à devenir le double de Mark en fin de film. Déjà, on peut noter que contrairement à Helen, le double de Mark est développé par Anna tout le long du film. Deux interprétations quant à cette différence dans le développement sont selon moi possible. Soit la créature, le double, se développe lentement pour Anna car elle est une femme et son rôle dans la procréation est donc plus long que celui du mari. Soit c’est parce qu’Anna a tellement de ressenti envers son mari que sa créature met plus de temps à se développer, Helen, le double d’Anna, n’étant que l’idéal dont se fait Mark de sa femme.


De plus, j’ai énoncé précédemment que je pense que la créature d’Anna est le symbole de l’antichrist. En effet, Anna a dû se débarrasser entièrement de Dieu pour donner naissance à sa créature. Heinrich dit au début du film que la seule chose dont il faut avoir peur c’est Dieu et, quand Heinrich découvre la créature, il est immédiatement pris de panique. Je ne pense cependant pas que la créature soit la représentation de Dieu mais celle de son alter-égo le Diable. Déjà parce que les notions de Bien et de Mal sont inversées dans le film mais aussi parce que la peur de Dieu est en réalité plus la peur de son jugement qui peut conduire en Enfer, et donc au Diable. Si Heinrich avait vu Dieu dans la créature d’Anna, je ne pense pas qu’il aurait été aussi paniqué. Mark ira même demander après coup à Heinrich s'il a rencontré Dieu, ce qui renforce mon idée que la créature est une forme de divinité. J’associe cette divinité à l’antichrist car elle est le produit du Diable, vu que Anna rejette Dieu dans son entièreté lors de la scène du métro — et que c’est peut-être le seul instant où elle est vraiment folle, possédée, sans aucune raison — et d’une femme, le tout par immaculé conception. Par la suite, Anna s’accouple à plusieurs reprises avec la créature, les bras en croix, ce que j’interprète comme le fait qu’elle s’offre entièrement au Diable. Comme je l’ai dit plus tôt, l’interprétation de la créature est complexe puisque juste avant sa conception, la scène du métro, Anna nie Dieu lorsqu’elle fait face au Christ. Je n’ai cependant aucun doute quant au caractère divin de la créature, et que sa forme finale soit celle de l’antichrist, mais certains points de mon interprétation peuvent être erronés, et j’espère donc les éclaircir lors de nouveau visionnage.



La fin



Je veux, pour finir, livrer l’interprétation que j’ai de la fin. Pour moi, le plan où Mark tend les bras à sa femme, où il se donne à elle, est le moment où il comprend le mal qu’il lui a fait subir et où il demande donc son pardon. Néanmoins, Anna ne peut pas pardonner à Mark toute la souffrance qu’il lui a fait subir et décide donc de le quitter malgré sa prise de conscience. Mark ayant ouvert les yeux sur sa responsabilité dans le folie de sa femme décide de sauver Anna, quitte à se sacrifier lui même. L’escalier à la fin du film est donc, selon moi, une représentation de l’accès au Paradis, de la rédemption, avec au sommet le Paradis lui-même. Cette hypothèse est renforcée par les bruits des cloches d’églises qui interviennent lorsque Mark monte l’escalier. Cependant, Mark n’arrive pas à atteindre sa rédemption, puisqu’il s’effondre au niveau des dernières marches. C’est là qu’intervient Anna et sa créature, Anna étant d’ailleurs tout à fait normale dans cette scène, ce qui est dû — dans mon interprétation — au fait que Mark ait enfin accepté l’émancipation d’Anna. Comme je l’ai dit plus tôt, le double de Mark est une figure de l’antichrist. À sa vu, Mark tente de le tuer, probablement par jalousie, ce qui signifie qu’il n’a pas totalement accepté la liberté de sa femme, et qu’il n’atteint pas sa rédemption, donc le Paradis. Les tires de Mark conduisent à blesser très gravement Anna qui s’écroule à côté de Mark. Le fait qu’Anna se suicide en tentant en même temps de tuer Mark est à interpréter comme le fait qu’elle lui pardonne et qu’elle est prête à aller en Enfer, le suicide étant un péché conduisant tout droit à l’Enfer, par amour pour lui. Cette figure des amants maudits est néanmoins entachées par le fait que la balle que tire Anna ne tue par Mark. Afin d’échapper à la police, Mark saute dans la cage d’escalier et meurt de sa chute. Mark échoue dans sa quête de rédemption et atterrit donc directement en Enfer pour toutes les souffrances qu’il a fait subir à sa femme, jusqu’à la damnation éternelle. Pendant ce temps, le double de Mark, l’antichrist, grimpe les escaliers et s’échappe par le toit de l’immeuble, symbole de l’arrivé de l’antichrist au Paradis, qui conduit à la dernière scène du film.


L’antichrist est arrivé au Paradis et rejoint la figure la plus sainte du film, Helen. Au loin, on entend des bombes, des sirènes et des obus, le symbole, pour moi, de l’Apocalypse. Bob répète à Helen de ne pas ouvrir la porte et va se suicider en se noyant dans la baignoire. On peut voir cette fin du monde comme le fait que, malgré des versions idéales d’eux-mêmes, la relation de Mark et Anna est vouée à leur destruction mutuelle. Néanmoins, et d’une manière plus terre à terre, j’interprète le suicide de Bob comme le symbole de la destruction que créer le divorce des parents pour un enfant. Chose d’autant plus déprimante quand on se rappelle que, au moment de son divorce, Zulawski avait deux fils.



En conclusion



Tout d’abord, merci d’avoir lu ce pavé. Possession est un de mes films préférés et l’un des plus complexes à analyser, vu que son auteur laisse peu d’indice pour résoudre l’énigme qu’est son film, mais je voulais absolument en parler. Si vous pensez qu’il y a quelque chose à ajouter, à rectifier, voir à enlever, bref, si vous voyez quelque chose à modifier dans mon interprétation des points soulevés dans cette critique, n’hésitez pas à me le faire savoir dans les commentaires afin de me permettre de solidifier mon analyse du film.

Venceslas_F
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le 21 févr. 2018

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Venceslas F.

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