L'appât du mal
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le 2 mai 2014
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Façonné comme une tragédie grecque avec une intrigue Freudienne, Possession est une œuvre surréaliste qui aura permis à ses spectateurs d'analyser bien des symboles, notamment la dualité (bien et mal, sexualité, genre, foi, politique etc). Mais je vais cependant m'attarder ici sur une dimension du film qui m'a interpellé tout au long du visionnage : la figure féminine incarnée par Anna.
Bien qu'ayant appris l'emprise qu'il y a eu sur Adjani durant le tournage (qui livre une perf marquante), le film peut, à mes yeux, étonnamment s'accorder à un discours moderne et féministe. Volontairement ou non, factuellement ou non, ce n'est qu'un ressenti à chaud sur une œuvre complexe et sans doute bien plus dense encore que le peu que j'ai pu en tirer.
Nous plongeons au cœur d'un couple dysfonctionnel dès les premières images. Mark rentre de déplacement dans un foyer sans amour et soupçonne Anna d'avoir un amant. Elle n'a plus la flamme, lui est indifférent. Elle confirmera très vite les soupçons, elle cherche ailleurs une satisfaction (sexuelle) que Mark ne peut lui donner. Des yeux d'Anna, c'est son dernier signal pour se libérer de ce couple pesant. Mais il ne veut pas, il n'y croit pas. Pensant la persuader qu'ils peuvent encore sauver le couple, qu'il ferait tout pour elle, même si elle aime un autre. Anna désespère. Elle n'a même plus les mots et la force pour (ré?)expliquer encore les raisons (on comprend que les soucis ne datent pas d'hier dans ce couple). Maintenant c'est simple, elle ne le juge de rien, elle souhaite juste partir, finir cette histoire. Mais lui reste tel un enfant, suppliant et colérique.
Désabusée, elle finit par lui donner ce qu'il cherche, les réponses provoquantes qu'il semble attendre continuellement, pour se faire du mal peut être, ou simplement par pure sentiment possessif. Oui elle a un amant, oui elle le désire, oui elle aime le sexe avec lui... oui, si tu veux, il baise mieux que toi... le provoquer pour l'éloigner, lui donner un électrochoc, qu'il comprenne enfin que c'est finit.
Mark va alors sombrer. Mais il n'entend pas et revient de plus belle, se sert de l'enfant comme prétexte, pour l'accuser de détruire la famille, de ne pas aimer assez son fils pour être prête à le séparer de son père. Elle est forcément folle, elle a forcément été retournée par le charisme d'un homme, d'un gourou, d'un flambeur, elle ne peut pas penser ça delle même ! C'est l'emprise masculine, alimentée par une irrémédiable jalousie, qui s'abat sur elle, et l'a fait entrer cette crise de nerfs. Dans un dernier cri de désespoir elle tentera de se donner la mort. Après cette tentative échouée et un calme suspendu quelques instants le temps des premiers soins, la dispute repart de plus belle. Il ne comprends pas qu'elle soit prête à tout quitter (et même ce monde) pour être libérée de ses chaînes. Remettant continuellement la faute sur elle, il attendra le prétexte, la goutte, pour tout faire basculer. Il a tout donné, du mieux qu'il pouvait, pour avoir ce prétexte, cette colère qu'il cherchait tant a faire sortir : elle le gifle. Maintenant "objectivement" hystérique et violente, comme il l'affirmait, il s'octroie donc le droit de la rouer de coups. Pour la calmer, bien-sûr.
C'est le mal profond et toxique, qui détruit le couple, empoisonne la famille et ronge lentement la communauté. Même les plus innocentes sont touchées, comme cette jeune fille, violentée par l'ambition et l'ordre, semée à l'origine par le patriarche, la figure masculine. Dans un dernier signal, sur la bande d'un film, une dernière confession. Anna lui donne sa raison, son départ et besoin de liberté.
Et puisque son regard à lui prévaudra toujours à son ressenti à elle, elle devient ce qu'il "demande" ce qu'il "décide" d'elle. Elle tombe dans la folie, et le film tourne à l'horreur.
Le mal sous jacent laisse place à une folie vengeresse et à un exutoire pour Anna : Un mari déserteur mais dont la présence ne disparaît jamais, un amant mégalomane, jouisseur et autoritaire, un détective incarnant la paranoïa ambiante dans cette Allemagne divisée. Dans sa folie, elle se vengera de toute la toxicité qui l'entoure, qui l'oppresse. Le mal qui l'a atteint est trop profond, et va maintenant se diffuser. Elle est alors la figure féminine, celle que l'on a fait d'elle, que le monde attend d'elle, et que nous spectateurs attendions. Eve a croqué le fruit, commis le péché originel. C'est elle, la femme, qui sème division et chaos parmi les hommes, tout en alimentant l'espoir, la foi, l'obsession.. Possédée par ses démons, par ses désirs, et sous le joug des hommes qui l'entourent, en leur possession. Jamais libre donc
Tableau brillant qui a mes yeux, montre la figure féminine dépeinte comme ce que l'on a fait d'elle, et le poids des drames/du mal qu'on lui fait perpétuellement porter sur ses épaules depuis des millénaires. La mise en scène est très théâtralisée, les plans sont longs, et les espaces, larges mais vides, se referment peu à peu sur Anna. Enfermée sur la scène, séparée du reste du monde. Le cinéaste nous cloisonne avec lui mais laisse la liberté de mouvement à la caméra, qui rend vivante cette histoire morbide.
Première oeuvre de Zulawski pour moi, et on remarque directement que des liens peuvent être fait avec d'autres cinéastes (Carpenter, Cronenberg, Noé...). Oeuvre absolument clivante, mais complètement hallucinée qui aura grandement marché pour moi. A la manière d'un film de Lynch, l'œuvre a l'air tellement riche et symbolismes et interrogations qu'elle nous invite à aller farfouiller et sur-analyser. Selon moi, Anna incarne et dénonce l'image que l'homme a façonné de la femme. "Tu as toujours choisi pour moi, non?" . Et à la fin, elle construit une forme masculine idéalisée (à travers tous ceux qui lui ont fait du mal) qui la tue/détruit.
Profondément féministe donc..
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Créée
le 16 sept. 2025
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