A la simple évocation de Predator, beaucoup de souvenirs et d'images fortes reviennent caresser doucement le cortex, tandis que les mots parfois un peu vains, ceux qui portent en eux l'admiration, la reconnaissance, ou encore la fascination, forment un embouteillage désordonné sur le bout de notre langue, qui essaie de former des phrases plus ou moins construites pour parler maladroitement de ce chef d'oeuvre.


Les mots, ils se tournent tout d'abord vers John McTiernan, pour constater qu'il touchait déjà là à une sorte d'apogée de son cinéma, alors même que la bombe Die Hard n'est même pas encore envisagée. Jamais la jungle, dont il tire la quintessence comme décor, n'aura été aussi moite, inhospitalière, étouffante, dangereuse. La gestion de l'espace dont fait preuve McT se fait au millimètre, pour donner littéralement vie à un enfer vert qui nourrit en son sein la menace invisible, qui se transforme peu à peu en peur constante. En tension de plus en plus palpable. Au point, comme le fait le commando, d'essayer de la deviner, de la confondre dans chaque recoin de la forêt, dans chaque plan un peu insistant sur cette nature tout aussi majestueuse qu'impénétrable.


A l'image de l'escouade, le spectateur avance ainsi lentement, le nez constamment en l'air, tandis que la caméra du réalisateur passe d'un visage à l'autre, en sueur, tendu, sale, peinturluré. Elle reste impassible en leur faisant découvrir à intervalles irréguliers des corps à vif débarrassés de leur peau, pendus en guise d'avertissement, comme si le commando rentrait sur une chasse gardée. En effet. Car les corps des militaires qui sont tombés, la menace ira jusqu'à les reprendre, se les approprier. Elles sont à elle, maintenant. La chasse est ouverte.


Les mots se surprennent à constater que ce n'est pas la supériorité de feu, le culte des corps, ou encore les muscles bandés qui sauveront Arnie et sa troupe de gueules hautes en couleurs et immédiatement charismatiques, Sonny Landham, Jesse Ventura et Bill Duke en tête. En effet, une telle partie de chasse ne se livre pas en faisant cracher les armes lourdes, sauf pour faire littéralement exploser un camp de rebelles au cours d'une opération de barbouzes. Le chasseur, lui, observe. Il est partout, invisible. L'ombre traque ses proies et se joue d'elles, les isole pour mieux leur porter le coup de grâce.


Et la chasse de bientôt se terminer en duel. Nu, débarrassé de ses attributs militaires, Schwarzy fait face à l'inconnu, déjouant sa vision acérée en la maculant de boue. En essayant de se fondre dans le décor, comme la créature qui le chasse, entre terre et racines. Dutch renaît de la boue primitive, comme s'il en tirait une nouvelle puissance. Il est prêt à en découdre. Les mots se dispersent pour faire place au silence de l'affrontement. Predator négocie alors un virage vers le survival oppressant et intime, intensément viscéral et habité.


Les mots du spectateur s'extasient enfin sur la menace, que l'on n'avait vu jusqu'ici que de manière fugitive. Une icône coincée entre l'instinct du chasseur ancestral et la technologie extra-terrestre létale. Sûr de sa force, longtemps masqué, le prédateur se révèle enfin dans toute son horreur fascinante dans un design aux inspirations tout aussi folles que malheureusement disparues. Car seuls ce casque poli immédiatement reconnaissable, ce faciès mandibulaire aux accents insectoïdes, ce goût de la traque sanglante et du trophée spectaculaire, sont aujourd'hui passés à la postérité cinéphile, en côtoyant l'alien organique et sexuel de H.R. Giger ou encore l'aspect torturé et protéiforme de The Thing tel que mis en scène par John Carpenter.


Encore aujourd'hui, les sommets atteints par ce Predator semblent indépassables, tant en termes de réalisation, de symphonie barbare et belliciste, que d'ambiance oppressante. C'était presque évident, à vrai dire. En voyant ce champignon atomique se dresser dans l'atmosphère, dans un dernier rire aux sonorités synthétisées, enregistrées. En sondant aussi les yeux d'Arnie, ceux d'un homme qui a affronté l'horreur, l'inconnu, l'inimaginable. Les mêmes yeux que ceux du spectateur, qui reste incrédule et époustouflé. Qui aura sans doute laissé une partie de lui-même dans cette jungle inextricable.


Behind_the_Mask, dans la jungle, terrible jungle...

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le 4 sept. 2016

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