Dans cette pièce de science fiction à la grandiloquence éminente, le réalisateur des déjà brillants Prisoners, Enemy et Sicario réussit à immiscer une intimité inattendu au récit et à sa mise en scène et fait peau neuve à la SF contemporaine de son regard presque innocent. Comme une étape probatoire par laquelle passent nombres de cinéastes contemporains et se rapprochant de l’exercice de style du splendide Midnight Special de Jeff Nichols ou bien du plus populaire Interstellar de Christopher Nolan la SF est vue sous un nouvel angle, dépoussiéré, permettant l’incrustation de thématiques profondément humaines et de l’ordre de l’intime. Avec cette magnifique ode à la vie et à la paix, Denis Villeneuve réussit à unir l’infinie grandeur de l’univers et l’infini petitesse des sentiments humains au sein d’un seul et admirable film, les rendant l’espace de deux heures égaux et tellement proches.


C’est d’abord la maîtrise qui choque et qui ravit. Cette maîtrise avec laquelle le cinéaste s’approprie les codes de ce genre qui lui était jusque alors inconnu. Le film s’ouvre sous des apparats de drame familial avant que tout d’un coup une “invasion” extraterrestre (bien qu’au coeur du synopsis) ne vienne créer une rupture et faire basculer le film dans un tout autre registre à mille lieux du simple drame terre à terre. Tout du long le film n’aura de cesse d’osciller entre ces deux registres qui cohabitent avec habileté et cohérence pour finir sur un “happy end”, certes un peu grossier et trop imposant, mais néanmoins emprunt de mélancolie et de bonheur, ce qui dénote vis à vis des fins tragiques auxquelles nous a habitué Monsieur Villeneuve.


On pourrait cependant s’attendre à ce qu’un scénario comme celui ci ne s'égare dans une forme de démence scientifique et de charabia incompréhensible qui permettrait d’apporter une crédibilité factice et forcée au récit et ses développements. Hors le scénario, bien que suffisamment complexe pour permettre un twist ending façon Interstellar, reste simple et épuré, à la limite du minimalisme mais paradoxalement incroyable de profondeur et d'intelligence. Le côté mindfucker bien moins poussé que dans Enemy et mieux dosé. La compréhension entre humains et aliens résulte d’un travail acharné dont la touchante Louise (une Amy Adams virtuose de retenue) a l’amabilité de ne pas nous accabler. Elle se fait naturellement et rien ne choque ni ne pousse à remettre en question la crédibilité des situations que l’on nous présente. On se dit “ok ça marche” et on reste pris dans les mailles de ce doux film de science fiction, perdu entre passé, futur et présent.


On a définitivement affaire à un film à la douceur surprenante. Certaines scènes rêches où la mise en tension et une certaine rugosité sont présentes ne suffisent pas à effacer cette douceur générale qui est reine du début à la fin. Même dans ce fameux premier contact la mise en scène suggère cette douceur mise évidemment en relation avec cette notion de deuil présentée dès l’entame. Le passage entre la terre ferme et le vaisseau des aliens se fait tout en légèreté, sans aucune pression de quelconque pesanteur, les signes tracés par Abbott et Costello nos heptapodes préférés se font tout en douceur, même les transitions entre réalité et "rêves" dans lesquels Louise Banks revoit sa fille décédée se font également grâce à des transitions sonores ou visuelles toute douces. La notion du deuil au coeur du scénario agit comme adoucisseur de ce qui aurait pu se tourner comme une énième bataille épique aliens/humain style La Guerre des mondes ou plus qualitativement Alien : Le 8ème passager.


Ici la thématique de l’invasion extraterrestre est traité avec originalité et nouveauté. Le début et l’annonce de l’invasion se fait de manière classique histoire de poser les bases du genre, et ce en passant par la panique générale, les flash news des chaînes d’infos et le déploiement de forces militaires en masse, avec avions de chasse et tout le tralalère. Mais lorsque Denis Villeneuve dans sa tentative de communication avec cette autre forme de vie, amorce l’idée d’une lutte et d’une destruction de ces gentils extraterrestres, elle est tout de suite désamorcée. La lutte n’est pas au coeur des thématique ni du traitement que veut faire Villeneuve dans son film de genre. C’est même toute les notions opposées qui sont mise en avant. On ne cherche pas la guerre mais l’entraide. Et au lieu de diriger son propos vers une critique ouverte du militarisme américain et d’un comportement humain marqué au fer rouge par la peur de l’autre et la haine (ce qu’il fait par moments), il prône au final la paix et la communication comme valeur universelle. Une paix avec son prochain et une paix avec soi même, une paix intérieur comme celle de Louise à la fin du film. Le langage n’est plus une arme mais un outil. De même, lorsque le vaisseau des heptapodes est attaqué par un petit groupe de militaires marginaux, les aliens ne répliquent pas en décidant de s’attaquer à cette humanité qu’ils pourraient juger de crétine et haineuse. Au lieu de ça ils s’éloignent. Tout simplement. C’est un portrait pacifique que dresse Denis Villeneuve de la vie extraterrestre en évitant de faire appel à une certaine violence trop habituelle dans ce genre de film. Les heptapodes eux-même sont symboliques d’un certain message de paix et de douceur, leurs déplacements sont fluides, ils sont comme des nuages qui flottent dans une brume épaisse et mystérieuse. Et malgré leur traitement pictural très organique qui contribue à une certaine appréhension, ces ovni se trouvent étonnement attachants. On leur implante en quelque sorte ce qu’il y a de meilleur chez l’être humain.


Néanmoins le cinéaste ne met pas de côté pour autant la sensation d’angoisse par rapport à cette arrivée d’alien qui ne met pas tout de suite en confiance. La mise en scène virtuose doublée d’une B.O frissonnante participe à la mise en place de cette atmosphère d’insécurité et d’incertitude. Cette immense coque noire dans le ciel n’est pas franchement rassurante et ne permet pas d’entrée de jeu d’identifier le message de paix qu’ils sont venus apporter. Ce long travelling aérien survolant le camp de base militaire et montrant pour la première fois le vaisseau extraterrestre dans sa grandeur et sa suprématie restera pour moi la plan le plus marquant de cette année cinématographique 2016 chargée en surprises.


Denis Villeneuve, le réalisateur le plus prolifique et prospère des ces 6 dernières années, nous livre ici un timide mais grandiose chef d’oeuvre manoeuvré avec justesse et en toute intimité sans jamais tomber dans le grotesque. Il expérimente, touche à des milieux qui lui sont inconnus et devient avec ses nombreux coup d’éclats le réalisateur le plus prometteur du cinéma contemporain. C’est donc un premier contact avec la science fiction réussis, singulier et rafraîchissant qui donne espoir en ce projet de Blade Runner 2049 et en un jeune et nouvel Hollywood tout neuf et tout beau.

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le 25 déc. 2016

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Aiccor

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