Le film s'ouvre avec une certaine sobriété, le cadre est improvisé et l'oreille du personnage de Louis vient dès lors annoncer le thème et Les enjeux du film tout comme le titre de Camille au générique. Ce sera un film sur l'incommunicabilité et la famille. Thèmes usuels chez dolan, déjà plus ou moins traités et de manière différente, mais qui, on le sent, sera vu sous un nouvel angle pendant les 1h37 qui vont suivre. On sent également qu'on a affaire à un nouveau Dolan, ou du moins un différent. Alors oui, dès les premières minutes du film on a quand même peur de retrouver cette surenchère devenue habituelle et inhérente à son cinéma et ce depuis quelques films, si ce n'est depuis le début, surenchère outrancière par moments, qui a fait à la fois sa force et sa faiblesse. On a aussi peur de trouver dans ce nouveau long-métrage une certaine forme d'auto-caricature stylistique, du "self recyclage". Heureusement le film n'y tombe que rarement et les fautes commises sont vite pardonnées. Quelques scènes ou archétypes narratifs ne sont pas sans rappeler ceux de ses précédents films comme par exemple ses flash-back/rêves exagérément lyriques, ou encore ses climax intenses et chargés d'émotions où tout explose. Sans se réinventer donc, et en se recyclant un chouïa Dolan nous livre son film le plus intimiste, une oeuvre comme renfermée sur elle même et qui marque définitivement un tournant dans sa filmographie, pour de bonnes raisons selon certains, et de plus mauvaises pour d'autres. Juste la fin du monde est un aparté à la beauté sinistre sur l'incommunicabilité et l'amour familiale, l'incompréhension, le rejet, la liberté, le temps, le souvenir et la mort... L'oeuvre paraît mature et s'avère belle et bien l'être au final. Inévitablement, les premières vingt minutes sont bourrés de stylisations signées Dolan, à coup de gros plans, de flous, de ralentis, de personnages déblatérant à tout vas. Mais juste au moment où l'on pense que c'en est trop, le film prend son rythme de croisière et nous embarque avec lui, délaissant (juste une peu) les effets de style au profit de la puissance de sa narration.


Le personnage de Louis magnifiquement porté par Gaspard Ulliel passe de mère à soeur, de belle soeur à frère, guidé par le désir comprimé d'une révélation qui le hante et nous offre des face à face sublimement vides. Le propos entier du film réside justement dans ce vide et ces malaises que les personnages s'efforcent de remplir avec tout et n'importe quoi pour éviter de se dire les vraies choses qui comptent. Souvent avec des cris, des insultes et des reproches d'ailleurs. Ca se coupe la parole, ça se provoque, tout le monde voudrait être écouté mais personne n'écoute et personne de parle vraiment non plus. Mais au delà des mots ce sont les regards qui comptent. Tout ces non-dit qui ne seront jamais dit mais quelques fois compris.


Le film qui fonctionne en huit-clos est composé de huit-clos internes au huit-clos lui-même : à l'intérieur de la maison les membres de la famille s'isolent deux par deux pour essayer de communiquer dans une pièce, la mise en scène vient alors les isoler encore plus, chacun dans son plan, comme dans des cages. Les faussées qui séparent les membres de cette famille deviennent alors des abysses que chacun essaye de franchir sans succès pour au final retomber dans agressivité ou cette gêne dans lesquelles le dialogue n'a pas sa place et ne l'aura jamais. D'une nature insidieuse, de simples phrases bégayées veulent tout dire et rien dire à la fois. Grâce à ces très gros plans dévoilant le moindre mouvement de sourcil ou tremblement de lèvre, les visages sont examinés, décortiqué, presque disséqués, comme si la caméra essayait de s'approcher au plus près du personnage, de sonder son âme et d'en faire sortir l'indicible. De faire resurgir tout ces sentiments enfouis et volontairement enterrés sous cet amas de banalité et de retenue.


Autant le dire, malgré le génie affirmé de ce cinéaste, le film ne fonctionnerait pas sans ces acteurs. Ils campent leurs rôles avec maîtrise (pour une fois le jeu de Léa Seydoux m'as convaincu) et l'ampleur de leurs personnages vient vite effacer la figure de l'acteur. On ne voit pas Maion Cotillard à l'écran mais Catherine, épouse désabusée, tout comme on ne voit pas Vincent Cassel et Nathalie Baye mais, une mère enfantine faussement naïve et son fils incompris et impulsif. Le travail de Dolan avec ses acteurs est comme de coutume impeccable.


Ce qui commence malheureusement à s'inscrire de façon trop présente dans le style Dolan, mais qui constitue paradoxalement l'essence même de son emprunte, c'est cette sensation que le cinéaste désire à chaque instants annihiler le moindre silence, de l'engloutir sous un amas musical qui n'est pas toujours juste et exaspère parfois un peu. Ca ne tuerait personne un peu plus de silence. La globalité du film gagnerais à prendre exemple sur sa propre séquence d'introduction où le silence est maître pendant une partie, donnant toute sa puissance au monologue en off de Louis.


Dans ce ballet sinistre sur lequel plane l'odeur de la mort, l'exubérance de Laurence Anyways ou le pep's des Amours Imaginaires n'ont plus leur place. Les décors sont à peine montrés quand ils ne sont pas totalement occultés par la focale des gros plans. Idem pour les costumes qui avaient une importance primordiale dans sa filmographie jusqu'à présent, servants de base pour la construction du personnage et sa présentation à l'image. Néanmoins, même si on ne les voit que très peu, ils ont toujours leur importance et sont évocateurs de la psychologie du personnage et insiste cette fois de façon très juste sur le sous-texte du scénario. Comme la maquillage outrancier de la mère, reflet de ces voiles mis sur les vérités, ou encore la figure de la mort explicitement introduite grâce au grand manteau noir de Louis et son arrivée dans la maison. Ce n'est désormais plus le mouvement ou les messages exprimés par le corps sur lesquels s'attarde Dolan, mais plutôt sur le point de convergence de tout ces sentiments internes et inexprimables qu'est le visage. On a affaire à un film sombre sur des sujets sombres et au discours profondément triste. Dès l'introduction, un appel à la tragédie est lancé, on annonce la mort future du pseudo-héros du film avant même que les événements ne débutent. Dès lors rien ne pourra se passer paisiblement. Mais malgré ça, une certaine douceur et une immense mélancolie envahit souvent le spectateur. On ne peut pas éviter d'être touché ou frustré face à l'incapacité de Louis à communiquer ce message si important aux personnes qu'il est censé aimer, et qu'il aime profondément, du moins qu'il voudrait aimer d'avantage ou différemment. On ne peut bien sûr pas rester de marbre face au sacrifice ultime d'Antoine le grand frère, qui, pour épargner la souffrance de l'annonce de Louis à leur mère et leur soeur, endosse le rôle de la bête brutale et centralise toute cette colère familiale exacerbée. Le tout sous le regard inquisiteur du temps qui n'a de cesse de rappeler à Louis que c'est bientôt la fin. Tout comme cette urgence dans laquelle travaille le cinéaste, ce sentiment d'avoir peur du temps le poussant à s'engager sur la voie d'une certaine frénésie productrice pour vite dire les choses qui comptent à ses yeux avant que cette expression ne lui soit privée.


Ce 6ème long-métrage est sans aucun doute le plus noir de tous. Il mélange avec habileté et simplicité la flamboyance de Mommy et le sordide de Tom à la ferme. Et à l'image de ce dernier, tout les propos de Juste la fin du monde sont développés de façon souterraine comme voilées par une mascarade sans queue ni tête et dont personne n'en sortirait indemne. Comme une représentation théâtrale organisée où chacun essaierait de rester dans son rôle, la preuve en est la dernière phrase prononcée par la mère "on sera mieux préparé la prochaine fois".


Ainsi le temps passe, le coucou résonne et l'oiseau meurt sans avoir eu le temps de vraiment chanter. Au crépuscule et malgré ces efforts pour paraître normale, la famille éclate et dans un dernier mouvement théâtral chacun des membres de la famille retourne en coulisse, ils s'éparpillent et cette illusion forcée de tranquillité disparaît dans un nuage de poussière, mettant fin à ce monde de faux-semblants. Après tout home is where it hurts.


Pour finir, aucune déception au rendez-vous, seulement de l'émerveillement et de la passion pour une oeuvre, qui sans être la meilleure du jeune Quebécois, se trouve finalement complète et aboutie (avec ses défauts et ses qualités) et s'est avérée correspondre à toute mes attentes. Un pitit bijou.

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le 19 sept. 2016

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Aiccor

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