C'est avec un délicieux mouvement circulaire dans lequel les étoiles se muent en vinyle pour finalement ne faire plus qu'un des âmes de ses deux vampires que Jim Jarmusch nous invite, nous simples mortels, à prendre part à ce fabuleux trip métaphysique qu'est cet Only lovers left alive. Dès lors on se sent étreint d'un sentiment vaporeux de légèreté et de noirceur face à la découverte de ces corps enracinés dans un univers baroque, où Tilda Swinton (mon amour) et Tom Hiddleston trônent majestueusement. Ils sont sublimes et transpercent déjà l'écran. Il m'aura donc fallu deux minutes pour être électrisé et deux ans et demi pour m'en remettre. Dans une audace sincère, avec beauté, humour et mélancolie le réalisateur des déjà brillants Ghost Dog La voie du Samouraï et Dead Man dépoussière la figure du vampire et accouche dans un même mouvement d'une oeuvre transcendante et électrisante.


Nous est alors conté le récit funèbre de deux âmes unis dans l'isolement, errants dans un Tanger et un Detroit profondément romantiques. L'une sombre à l'âme immémorial et l'autre semblable à un cadavre à la beauté avant-gardiste aux sonorités underground, ces villes sont âmes sœurs comme Adam et Ève, qui se retrouvent, s'aimantent et s'aiment pour finalement disparaître ensemble.


Les deux amants de la genèse prennent devant la caméra la forme de vampires que le cinéaste vient sacraliser, élever au rang d'êtres suprêmes, de déités au savoir encyclopédique inouïe et forcés de cohabiter avec ces "zombies" qu'Adam exècre par dessus tout, en d'autre termes de simples humains. Le mythe du vampire grandement éculé et entaché depuis longtemps semble ici renaître. Le couple est l'incarnation même d'un temps révolu, un passé que l'on donne à voir comme un temple. Ce genre de temple dont on admire religieusement les moindres fissures et les fondations usées. Ils sont beaux, gothiques et terriblement modernes. On leur découvre une mélancolie nouvelle, une irrésistible connaissance artistique et culturelle, ainsi qu'une sensualité affolante. Ces amants vénéneux déambulent lentement et nous font partager leur poésie sombre et indigne selon eux de ce monde décadent qui les entoure. Quand on y pense ils sont horriblement chic. Eve est une grande amie d'un certain Christopher Marlowe, vampire millénaire auquel on attribue nombres d'écrits d'un fameux Shakespeare; Adam est un musicien confirmé, adulé comme une rockstar et auquel on attribue également nombre de chef-d’œuvres; et tous ensemble ils se délectent d'un sang de type O négatif, comme une drogue super huppée pour substituer le sang de ces humains devenus trop impurs pour pouvoir s'en nourrir directement (et puis apparemment c'est so XVe siècle de mordre les humains d'après Ève). Ce sont donc des érudits de la nuit, des savants qui maîtrisent la science des arts sur le bout des doigts depuis des siècles. Hélas c'est à la mort de tout cela que l'on assiste, impuissants. A la mort de ce que l'on croyait immortel. A la contamination et au désenchantement d'un monde où l'art déjouerais les lois du temps.


Les amants noctambules se complaisent alors dans une mélancolie extrême, presque morbide mais tellement envoûtante, jusqu'à ce que à cause (ou grâce) du mystérieux "spooky action at a distance" l'agitatrice Ava, petite sœur d’Ève, viennent faire trembler cette douce errance. Elle confronte par la même occasion notre couple séculaire à leur fin inexorable sur laquelle ils se sont déjà engagés, poussés par ce monde en ruine qu'ils voient disparaître à petit feu. Ainsi en une fulgurance poétique, un des cinéastes les plus doués de ces 30 dernières années met en oeuvre la fin d'un monde voué à mourir depuis des siècles et celle d'une romance millénaire. Mais malgré ce pessimisme avoué, il donne néanmoins l'espoir d'une survivance de l'amour et de l'art suprême, qui auront le mérite de vivre encore et toujours, éclairés par une lune factice faite en néon bleu. Avec une morsure apothéotique ils permettent à l'amour une entrée gracieuse et magistrale dans l'éternité assurant la pérennité d'un des aspects humain des plus intense : l'amour.


Mais comment parler de ce bijou sans parler de sa bande originale. Cette partition unique qu'est celle de Jozef Van Wissem et SQÜRL qui n'est pas sans rappeler la collaboration entre Jim Jarmusch et le même Jozef Van Wissem sur l'album Concerning the entrance into enternity, sorte de préquelle spirituelle d'Only Lovers Left Alive. La lenteur fiévreuse du long métrage rythmé par cette sublime douceur auditive se laisse d'avantage apprécier et se délecte avec passion tant elle donne une force et une profondeur poétique immense à l'image déjà amplement chargée. Le tout faisant passer certaines scènes d'errance nocturne pour un penchant sinistrement beau du In The Mood For Love de Wong Kar Kai. Et puis la musique est au cœur même du scénario, comment donc Jarmusch aurait pu l'occulter? Elle est présente comme la forme d'art la plus appréciée d'Adam et Eve. Ils font presque tout en musique et chacun de leurs mouvements est doublé d'une musique soit intra soit extradiégétique. Adam maîtrise d'ailleurs cet art à la perfection et donne forme à des partitions sombres et intellectuelles qui déchaînent les passions du milieu underground. Ce n'est donc pas anodin que la BO même du film soit un parfait compris entre modernité et tradition, mêlant magistralement sonorités électriques minimales de Detroit avec celles du luth néerlandais associé à Tanger. Une pure merveille et à coup sûr l'un des plus belles bande originale de film jamais écoutée.


Only Lovers Left Alive est émouvant, brillant, profond, flamboyant et sombre à la fois, lancinant, hypnotique, sensuel, d'une justesse et d'une beauté infaillible. C'est une oeuvre complète dont je décrie la quasi perfection depuis deux ans et sûrement à jamais. Tout simplement.

Aiccor
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le 2 nov. 2016

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Aiccor

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