Villeneuve réussit en toute simplicité à faire ressentir le gigantisme mieux que bon nombre des artistes et artisans du 7ème art, en alternant des plans brumeux d'une beauté sans faille, et basculant sans crier gare à l'échelle humaine, une dialogue avec une caméra mobile qui capture la gigantesque ogive noire, terrifiante de simplicité, ajoutant un coté caméra sur épaule contrastant avec le surréalisme de ce vaisseau qui semble vivant, une version contemporaine de la plaque de marbre spatiale de 2001.

Et en réussissant à poser ce postulat de gigantisme, qui m'a toujours terrifié, il permet d'en jouir en tant que spectacle, sans pour autant que l'on décroche de l'intrigue à l'échelle humaine.


Car malgré l'ampleur mondiale de cet événement, les enjeux plutôt titanesques nous concernant, le film, symbiose entre image, son et propos, que ce soit la force des nappes de Johann Johannsson, entre drone et sonorités évoquant le gigantisme des ogives, et les compositions circulaires incluant du chant et percussions résonnant avec l'écriture alien, sans oublier l'utilisation des morceaux de Max Richter, dont l'arrache coeur On The Nature of Daylight, qui réduit en cendres l'auditeur, utilisé toujours à bon escient, et nous ramène immanquablement à l'échelle de l'intime, le mariage de ces trois pôles sonores permet de s'investir dans toute l'épaisseur du film.


Et il nous rappelle que les enjeux planétaires s'avèrent peut-être secondaires par rapport à la dimension intimiste du film.

J'ai relu l'excellente critique de lessThanTod ( rendons à l'auteur ce qui lui appartient : https://www.senscritique.com/film/premier_contact/critique/271242273 ), et j'ai pu apprécier son parallèle entre Nolan et Villeneuve, les deux maniant des concepts costaud (et Nolan joue aussi du palindrome avec TeneT à la différence que Villeneuve non seulement offre quelque chose de solide, là où Nolan, que ce soit par flemme pour ses Batman, ou par ce qu'on pourrait aisément prendre pour du mépris dans Tenet, (n'oublions pas qu'une des figures majeures du film dit quasi explicitement au "héros" (et à travers lui, au public) une version à peine évoluée d'un "ta gueule c'est magique!", en lui déconseillant d'essayer de comprendre le sens mais seulement la mécanique des croisement de lignes temporelles, avec un postulat autrement plus brouillon et, pourrait on dire, foireux que celui de Villeneuve)

(Et LessThanTod ne s'arrête pas là, je vous conseille une lecture de sa critique).


Donc oui, Villeneuve, lui, respecte son public, en lui donnant accès à l'ensemble, en partageant sa fascination pour l'approche du temps via un langage sans début ni fin, où le simple fait de l'assimiler, de l'étudier en profondeur offre de nouvelles connexions permettant de se libérer partiellement du joug du temps.


Le choix de voir ça à travers les yeux de la linguiste Louise est un choix d'autant plus justifié, une sorte d'anti Rolland Heinrich qui réussit à nous extraire du fantasme militariste des séries B à gros sous du papa de Independance Day, pour vivre l'intrigue à travers une vie, des émotions, des découvertes, laissant planer systématiquement un doute : celui du libre arbitre lorsqu'on a accès à l'extérieur du temps, malgré nos limites de simples êtres humains, soumis à l'altérité, coincés dans un présent qui n'existe pas (le passé avale l'instant présent, l'assimile, ce dernier alors inexorablement écrasé sur le champs des possibilité qu'offre le futur immédiat et la digestion du passé vorace... à quel moment, le présent est il Présent ? Entre le moment où l'on pense une phrase, où l'on ouvre la bouche pour l'énoncer, entre le premier son et le dernier, rien n'est jamais "présent", tout est immédiatement passé, à peine cet imperceptible instant est amorcé qu'il a déjà disparu, dans les méandres de la mémoire, notre présent ne revêt aucune réalité tangible, insaisissable par nature, coincé entre l'intention de faire et le déjà-dit / déjà-fait. Ca ne vous angoisse pas ? Bon, bah, moi, si, très.


"Le temps est une donnée de la conscience" diraient certains philosophes, qui réfléchissent à la forme du temps : une flèche, une ligne, un cercle, une spirale, un chaos Nietzschéen, laissant entendre que les divinités, ou extraterrestres, les héros peuplant les mythes, sont fait d'un autre métal dans leur rapport au temps, Dieux et Démons perçoivent le temps de façon géométrique, et sont au delà de l'altérité, du changement, qu'il s'agisse d'évolution, de vieillissement, de Pouvoir Changer.

Le religieux voit Marie écraser le serpent de son talon, un concept figé, dans les représentations, dans le coeur du croyant, les Dieux sont des agrégats d'attributs immuables, et certains Psychonautes expliquent le ressenti communément appelé le Bad Trip, comme une agression et un élan de jalousie des démons, qui eux aussi sont coincés dans une représentation géométrique, et n'ont pas accès à l'altérité, là où nous autres abrutis d'humains avons le pouvoir de changer les choses, une liberté qui nous pousse lentement mais sûrement à notre fin, mais nous permet de muer, muter, changer les choses, évoluer, si nous étions moins égocentrés. (C'est une hypothèse de Steinbeck énoncée dans Break Open The Head, parlant de son bad trip au DPT (ne faites pas ça chez vous^^) ).


Et nombre de scènes du film posent la question de l'altérité, et du libre arbitre, Villeneuve laissant son public réfléchir, et choisir. Toutes ces scènes de Flashback et/ou Flashforward, nous posent la même question, une "l'oeuf ou la poule" métaphysique, une question innocente de sa fille sur le Potlatch, ou la scène souvent décriée du Général Chinois, qui peut être vécue comme un Deus Ex Machina, une facilité d'écriture, alors qu'elle contient tout le questionnement ésotérique du film : (oui, je vais mettre des balises spoiler!)


Est-ce que le général, vu que la scène se place dans un futur où l'héroïne linguiste est en train de fêter la sortie de l'ouvrage commun sur le langage extraterrestre, là où dans le présent diégétique, elle est en train d'accomplir l'action qui va tout changer, situation d'urgence s'il en est une, et décide de faire confiance à cette "mémoire du futur" de forme particulière, car le général la remercie pour son coup de fil au moment critique sur sa ligne personnelle. Elle lui dit qu'elle n'a pas son numéro personnel, et le général lui montre en lui disant "maintenant, vous l'avez". Et Louise "...mais, mais oui, je vous ai appelé!", bégaie-t-elle, tout en, dans le présent diégétique, composant le numéro... Et ce jeu de ping pong entre souvenirs d'un futur déjà acté, perception extraterrestre du temps, et les actions nécessaires dans le présent/passé pour débloquer ce futur.


Et c'est peut-être là un élément-clé du film, ces scènes sont-elles des souvenirs (du futur ou du passé), et Louise, qui a non seulement l'altérité humaine, l'illusion du libre arbitre (illusion ou non, d'ailleurs), et la conscience extraterrestre du temps "géométrique" (en gros "le futur est déjà acté, tout ce qu'il reste à faire, c'est à dérouler le fil", une vision somme toute logique pour qui a toujours vécu dans cette relation au temps, un temps figé où les actions ne sont que des interrupteurs qui ne peuvent pas ne pas être actionnés).


Et à plusieurs reprises, la création de souvenirs, leur modulation n'est pas claire, dans le sens où l'on ne peut déterminer la part active de Louise sur cette ligne, ce cercle, cette sphère, spirale, macramé aux dimensions multiples définitif et figé (d'ailleurs, les 12 apôtres temporels spaciaux, navigateurs des brumes du temps, n'auraient-ils pas pu empêcher "le processus de mort" de l'un des deux interlocuteurs US ?). Dans quelle mesure la maladie de la fille de Louise est "incurable" ? Le sera-t-elle toujours dans le futur ? Où s'arrête sa vision du temps, à sa propre mort ? Celle de sa fille ? Là où les aliens peuvent se projeter sur l'échelle d'au moins plusieurs millénaires (mais nous n'avons pas idée de leur espérance de vie, de même de leur réels moyens de transport, les massifs ogives disparaissant dans un nuage de fumée ?)


Bref, Villeneuve a la décence de ne pas nous prendre pour des jambons, de nous offrir un drame intimiste, une réflexion profonde que l'on peut saisir ou pas, des images dignes des grands films de SF, et nous respecte, respecte nos choix, comme le fit David Lynch (malgré les suppliques déplacées de certains fans et journalistes) avec ses films obscurs, terrifiants.



La polymorphie du film de Villeneuve et les portes d'entrées, dans cette narration moins éclatée qu'il n'y paraît place ce film du coté des grands, qui n'ont pas besoin de poudre aux yeux ou d'ego artistique nauséabond.

C'est un film qui a nombreux niveau de lecture, mais le réalisateur n'oublie pas de laisser sa place au spectateur qui choisira ce qui lui sied le mieux.

Du propos à la direction artistique, de l'environnement sonore aux choix des bruitages, des couleurs, du rythme, ce film est une véritable perle SF métaphysique dont il serait dommage de se priver. Un coup de maître, qui me suffit pour placer Villeneuve sur le panthéon des grands.

toma_uberwenig
9
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le 10 mai 2025

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le 10 mai 2025

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toma Uberwenig

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