Le vrai titre de ce film n’est pas Première Année, mais certainement dans l’esprit du réalisateur « Comment la première année de médecine rend fou » ou « Comment la première année fait des étudiants des machines ». Et pour faire passer son message le réalisateur va sacrifier l’authenticité de son récit au profit du symbolique et de l’allégorie. Et pour moi ça ne fonctionne pas.


Ceux qui n'aiment pas les spoilers peuvent arrêter ici.


Je ne vais pas juger ce film pour ce qu’il n’est pas, bien que je reparlerais à la fin de ce qu’il aurait pu être avec une perspective plus élargie. En effet, Première année pêche par son cadre étriqué : celui de deux étudiants en médecine, un bizuth : poussin sorti de l’œuf qui découvre la vie, et un triplant rompu aux arcanes du concours. Cette dichotomie dessert complètement le film qui se borne à décrire ces deux parcours, quand on sait que les profils de ceux qui entrent dans cette filière sont très nombreux. On découvre également leur dynamique au cours de l’année et cela de façon très superficielle.


Le film n’est pas aidé en cela par une mise en scène « anti-spectaculaire » le plus souvent. Avec ces longues focales, ces plans moyens, ce montage très fluide où les événements semblent glisser sur les personnages sans qu’il y ait de difficultés à surmonter, ou si peu. De plus, le scénario présente un certain nombre d’incohérences qui brisent l’immersion. D’une part, dans un souci de simplification pour ceux qui ne connaîtrait pas ce milieu, on nous montre un amphithéâtre de 200 places en nous disant qu’il y en a 3 autres plein à craquer, tout cela pour une promo de 2000 personnes. Il y a quelque chose qui cloche quelque part. D’autre part, on invente des situations dans un souci de dramaturgie. Le film présente ainsi lors de la scène finale deux incohérences majeures : primo, au deuxième semestre les désormais 5 concours (médecine, pharma, dentaire, sage-femme, kiné) sont préparés séparément, ce qui rend le choix en amphithéâtre tel qu’il est présenté incohérent et construit de cette manière juste pour l’intérêt du suspense. Ensuite, la procédure de choix s'effectue de façon automatisée par Internet. Il n’y a pas de grand élan où un étudiant subitement se lèverait dans la salle pour crier « Je me désiste ! ». En plus, le personnage de Benjamin n’était absolument pas certain que cela suffise pour qu’Antoine puisse passer ce qui rend l’entreprise encore plus stupide.


Ce qui heurte également l’intérêt du film, c’est la voie politique qu’il emprunte et les moyens malhonnêtes qu’il utilise pour cela. En gros, le film nous dit que si Benjamin réussit c’est parce qu’il a les codes (lesquels ? les codes nucléaires) que le film ne se presse pas d’expliquer. C’est jeté en pâture et aux spectateurs mal informés de se faire une opinion. En gros, le film nous dit que les étudiants qui sont capables de se rentrer dans la tête cette masse d’informations ne sont pas « humains », ce sont des « robots ».


Et de façon fallacieuse suggère que si ce sont des robots, ils n’ont pas d’empathie (ce qui est explicité par la scène où le père de Benjamin le taquine en faisant la cuisine).


Et que d’ailleurs les gens « normaux » finissent par péter les plombs à cause de la pression.


Et pourtant, un étudiant en médecine n’a-t-il pas des mains, des sens, de l’affection, de la passion ! Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Et si vous nous empoisonnez, ne mourrons-nous pas ?


J’en viens donc maintenant à expliquer ce que le film aurait pu être avec un scénario différent. On le voit : présenter le parcours de 2 étudiants en médecine est une impasse, où les interactions sont réduites au minimum. Au lieu de cela, le réalisateur aurait pu choisir de suivre une dizaine d’étudiants se connaissant ou apprennant à se connaître à la manière d’un film choral. Certains veulent faire médecine, d’autres pharmacie, d’autres dentaires. Certains habitent chez leur parent, d’autres ont une chambre, d’autres une colocation. Certains viennent d’un milieu modeste et d’autres sont fils et fille de médecins. Certains font une prépa médecine, d’autre le tutorat de la faculté. Certains réussissent et d’autres échouent.


Et qu’on les voit enfin exprimer leurs rêves, leurs angoisses, leurs ambitions, leur moment de doute. On collabore, on s’engueule, on se donne des coups de pouce, on rit, on pleure, on s’amuse, on ne dort pas assez, on fait une pause, on va prendre un verre, on travaille chez soi, à la B.U. dans un café, dans le métro, bref on vit. On vit même si on est en première année et que c’est difficile. Mais ce n’est pas une raison pour se lamenter.


On peut bien critiquer le fait qu’une grande partie des connaissances au programme ne sont pas utiles après. Mais ça ne fait pas des gens qui réussissent des machines sans humanité. C’est une épreuve, certes, mais c’est une expérience qui permet de se mieux connaître, et de rencontrer d’autres personnes.


C’est là que le film s’enferme dans son carcan, destiné à informer le commun des mortels des horreurs de la première année. On présente les choses sous un angle commun, attendu, mais totalement inoffensif. On utilise les mêmes ficelles usées jusqu’à la corde. On entretient les fantasmes et on rassure le spectateur sur le fait que ses opinions sont valides. Et cette situation est d’autant plus étonnante quand on sait que le réalisateur est un médecin qui a connu ce concours il y a 20 ans.

Quentin_Pilette
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le 13 sept. 2018

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