Au bout de sept films de Fassbinder - L'amour est plus froid que la mort, Le droit du plus fort, Tout le monde s'appelle Ali, Le mariage de Maria Braun, Lili Marleen, Les larmes amères de Petra Von Kant, Querelle - je dressais ce constat impressionnant : tous étaient excellents. Très rares sont les cinéastes prolifiques capables de maintenir un tel niveau de qualité : l'anti Woody Allen ou Polanski, en somme.
Et puis voilà, patatras, je tombe sur Prenez garde à la sainte putain (ah ! les titres à rallonge de Fassbinder !). Un film sans queue ni tête, alors que la limpidité a toujours été l'une des forces du cinéaste allemand.
Enfin, sans queue ni tête... J'ai bien compris qu'il s'agit d'un hommage à Godard. Se mêlent pendant 1h40 des références à Pierrot le fou, à Alphaville et, surtout, au Mépris : comme l'explique fort bien le site iletaitunefoislecinema ici :
https://www.iletaitunefoislecinema.com/rainer-werner-fassbinder-prenez-garde-a-la-sainte-putain/,
le film est une réflexion sur le devenir du cinéma. Là où Godard évoquait le nouveau cinéma dans ses rapports à l'ancien, figuré par Fritz Lang, Fassbinder semble poursuivre l'histoire, explorer où mène cette modernité amorcée par JLG. On trouve ainsi en référence au Mépris : une villa sur la côte (Pompéi prenant la place de Capri), une scène de nudité allongée (Hanna Schygulla, l'actrice fétiche de Fasbinder, prenant la place de Bardot), l'idée du réalisateur jouant l'assistant (Fassbinder prenant la place de Godard), des scènes de drague en décapotable, l'idée d'utiliser les femmes pour leur valeur marchande sexuelle afin de financer les films (ce qui fait de ces films des putains). Mais l'histoire du couple battant de l'aile, tirée du roman de Moravia, a disparu : ne subsistent que des élans sexuels fugitifs, en un bal où les partenaires s'échangent allègrement.
Là où Godard produisait du sens, Fassbinder ne fait que dresser un constat nihiliste. Toute l'équipe de tournage s'agite comme une bande de pantins : on se bourre la gueule, on se met à danser, on se vautre sur le canapé pour un plan à trois, on jette son verre qui vient se briser derrière soi, on joue au "jeu des mains", on monte pour baiser dans une chambre. Le maître d'hôtel s'est endormi, avachi sur le comptoir, les serveurs ou l'interprète se font insulter, plus ou moins docilement.
Tout cela est hanté par la présence hargneuse du réalisateur, joué par Lou Castel (le héros inoubliable des Poings dans les poches de Bellocchio) : un tyran insupportable qui hurle, gifle et humilie à qui mieux-mieux. Il est amoureux de l'un des acteurs, Ricky, ce qui pourrait être un peu plus intéressant ? Mais les relations interpersonnelles sont si désincarnées qu'on s'en fiche comme du reste. Le décor très peu réaliste n'aide pas à entrer dans le film. L'ennui guette, sans compter qu'on a bien du mal à identifier le rôle de chacun.
Quelques pépites sauvent le film du naufrage. Une allusion au Radeau de la Méduse justement, beau plan surprenant, même si le message est un peu lourdement asséné. Quelques moments drôles, par exemple quand le réalisateur pique une crise parce qu'on lui propose de tourner avec de la pellicule espagnole ! Une scène finale sur une terrasse au crépuscule, où Hanna danse sur Ray Charles. Et puis, plusieurs plans où les personnages sont brillamment disposés dans l'espace.
On n'a pas complètement perdu notre Rainer Werner donc. Mais là où les sept films cités en début de critique généraient après coup une réflexion féconde, celui-ci n'engendre que du vide. Une première déception : une sur huit, le score reste hautement estimable.
5,5