Il est des réalisateurs qu’on attend avec les fourches. On sait très bien qu’on ira voir leur prochain film, tout en ayant cordialement détesté les précédents, et la confrontation à la dernière livraison fait généralement office de confirmation de ce qui motive la haine. C’est en somme la définition du hatewatch, pratique plutôt malsaine, qui donne l’illusion au spectateur d’avoir un goût sûr, et lui permet de faire corps avec ses pairs dans l’acrimonie.
Darren Aronofsky en fait clairement partie : il est le cinéaste qu’il faut voir avant d’avoir grandi (syndrome Requiem for a dream, à ne surtout pas revoir après l’adolescence), et qui n’a depuis cessé de pousser les curseurs de la boursouflure, accompagnant avec sadisme des personnages dans leur autodestruction, à grands renforts de pathos, de formalisme gratuit et de complaisance.
Autant de précautions nécessaires pour saluer la proposition qu’il nous fait aujourd’hui. Si l’on peut retrouver dans Caught Stealing son plaisir à voir s’enfoncer un protagoniste dans un fuite en avant où le pire advient presque toujours, force est de constater un singulier changement de ton. Car la volonté première de cette odyssée foireuse, qui emprunte clairement par le lieu New-York et son époque (ici, la fin des années 90) au After Hours de Scorsese, est d’offrir un récit palpitant, dénué de temps mort, et dans lequel l’humour s’offre une place de choix.
Certes, l’écriture est loin d’être brillante : toute l’intrigue de départ accumule les lourdeurs (passé traumatique à régler, flash-backs pesants et redondants) et les incohérences (les interruptions peu crédibles des gangsters, les mobiles foireux du voisin punk), et les revirements un peu trop fréquents ont tendance à rendre indifférent à la caractérisation des personnages. Mais Aronofsky a envie de s’amuser, et se met sa mise en scène au diapason, en limitant ses excès, toujours en phase avec ce qui se déroule à l’écran. La très bonne direction des comédiens permet de dilater l’énergie nécessaire, et la dynamique des scènes d’action (fusillade, fuite dans un supermarché, course poursuite) permet enfin au cinéaste de justifier son maniement de la caméra.
La principale qualité du film réside dans sa gestion de la gradation : la frénésie croissante et l’enfer de la destinée du protagoniste ne perdent jamais leur saveur, notamment par l’arrivée de deux tueurs juifs hassidiques truculents. Cet emprunt au cinéma des frères Coen, voire de Tarantino, vient ajouter ce qu’il faut d’absurde et de fantasque pour éviter tous les pièges habituels du cinéma d’Aronofsky.
Comme quoi, l’espoir subsiste.
Si ça se trouve, je vais aimer L’Odyssée.
(6.5/10)