Privilège
6.7
Privilège

Film de Peter Watkins (1967)

Faux documentaire, l'on y suit les tribulations d'une pop-star au succès renversant, enfant de Birghmingam, à la renommée planétaire, qui rentre tout juste d'une tournée triomphale aux USA.

Peter Watkins est un réalisateur engagé. Non, très engagé. Quand il ne fait pas assaut contre la barbarie guerrière (Culloden), l'horreur de la dissuasion nucléaire (The War Game), ou la toute puissance cruelle de la raison d'état (Punishment Park), il fait feu de tout bois contre ce qu'il a théorisé sous le nom de "mono-forme", c'est à dire le conformisme des média de masse au service de l'asservissement de ces mêmes masses.

Ainsi, Steven Shorter n'est plus qu'un pantin proposant des spectacles extrêmements violents, destinés à occuper la jeunesse, et la divertir de la politique. Il insiste sur le fait que le gouvernement soit de coalition, et n'ait bien sûr rien à y redire. Mais son analyse va plus loin. Il montre aussi comment le divertissement sort de son cadre purement artistique, et devient une industrie, qui comme toute industrie un tant soit peu crédible, se doit d'engranger de puissants bénéfices. Ce n'est pas un hasard que l'individu à la tête du cabinet chargé de diriger les affaires de la jeune étoile soit un banquier, ou tout du moins un expert financier mandaté par une banque.

Watkins nous montre aussi l'aliénation de l'homme devenu star, arraché trop tôt à sa jeunesse (voir ses réactions parfois extrêmement puériles), intouchable ("No, I was never close from anybody."), objet d'un culte absurde (ces fan(atique)s larmoyant à ses concerts, ce portrait commandé par le ministère de la Culture, et ceux, géants, s'affichant un peu partout, et bien sûr cette rentrée digne d'un César dans Birghmingam, à laquelle "aucun président n'avait eu le droit avant"), incapable de maîtriser l'emballement de sa carrière. Et bien sûr, avatar omnipotent, qu'on se sépare à loisir contre trente deniers, vite récupéré par les groupuscules les plus improbables.

Au coeur du film, se trouve en effet la tentative par l'Eglise Anglicane de (re)vitaliser son culte, déclinant ("il paraît que dans les années 90, il n'y aura plus que les prêtres qui iront aux offices !"), en se servant du "bienheureux" Steven pour attirer les jeunes dans les églises. Point d'orgue de cette "Semaine de la Foi", un concert géant donné au Stade National, qui vire au défilé nationaliste. Les croix chrétiennes évoquent alors de manière troublante les gammées nazillonnes, les clones des Beatles invoqués pour assurer la première partie de Saint Steven font le salut "romain", et le porte parole clérical se mue en Hitler de pacotille.

La charge est parfois trop appuyée, et Watkins enfonce des portes ouvertes à l'occasion. Mais, en plein Swinging London, la réflexion sur la culture populaire, la portée et les limites à lui donner était bienvenue. Réflexion partisane, qui n'exclut pas un remarquable savoir-faire de cinéaste. Dans son genre favori, le documentaire de fiction, Watkins laisse libre cours à sa caméra, servie par une très belle photographie. De ce fait, les performances des acteurs sont magnifiquement mises en valeur, et c'est une très bonne idée, car Paul Jones est remarquable.

Un film assurément à voir !
Pedro_Kantor
8
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Créée

le 13 déc. 2010

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7 j'aime

Pedro_Kantor

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