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Trouvée, la perle cachée ! Xavier Palud et David Moreau sortaient en 2006 « Ils », sorte d'hommage au Projet Blair Witch croisé avec Délivrance, film d'angoisse franco-roumain tout en tension et en mystère. C'est d'une femme que vient son successeur ou ce qui s'en rapproche, « Propriété interdite » donc, véritable objet filmique non identifié qui louvoie entre pamphlet politique, drame familial et film d'angoisse tendu du string. Très court (une heure quinze) et pourtant blindé de qualités rares, uniques. On va essayer de poser le trip : un couple d'âge mûr débarque dans une maison de campagne à rafistoler. Madame est malade, pour une raison qu'on ignore, semblant vouloir se rappeler une personne disparue dont elle comble l'absence par une boulimie inarrêtable. Monsieur tente de la calmer la nuit, brille par son absence le jour où, parti au bureau, il laisse son épouse seule aux prises avec une ombre qui semble hanter les lieux. Construction en trois mouvements pour le film, qui démarre avec la mise en place d'une angoisse sourde et indicible liée à cette fameuse ombre. Hélène Angel privilégie les plans directs, à de très rares reprises montre des silhouettes immobiles ou fait retentir un vacarme inattendu. Berling et Bonneton excellent : pour l'un, confirmation de cette aisance dans le registre du fantastique made in France (on se rappelle notamment l'intrigant « Un jeu d'enfants »), pour l'autre, tranquille révélation en tant que femme perdue et frêle, parfaitement détachée du ton « comédie » qu'on lui prête habituellement pour incarner un personnage mystérieux, angoissé et angoissant. Technique très maline, et très audacieuse de la part d'Angel : privilégier l'angoisse le jour, lorsque son actrice est laissée seule face à ses démons, pour réserver aux segments de nuit (lorsque le mari protecteur est rentré, donc) un rythme de train fantôme plus prévisible quoique là aussi remarquable. Le film jouit d'un montage ultra précis et efficace, visuel comme sonore, qui détourne habilement les ficelles du genre pour faire naître la peur à des moments inattendus. C'est bien cadré, bien éclairé, tout entier traversé par une symbolique bizarre et floue parfaitement calée sur le personnage délibérément insaisissable de Valérie Bonneton.

Poser la question : « de quoi a peur cette femme ? » revient à se demander de quoi a peur le spectateur. De tout, et de rien. Difficile de comprendre précisément la maladie de cette femme, ses fantômes, pourtant son air hagard, cette boulimie dérangeante, ces « scènes de bouffe » ou elle s'enfourne tout le contenu d'un frigo sous l'œil accusateur de la caméra contribuent à créer une tension parfois extrême. Mais, surprise : au moment du premier pic d'angoisse, Angel va complètement virer de bord pour raconter autre chose. Difficile de dire quoi, difficile aussi de se détacher de l'action qui ne perd rien de son magnétisme. Petit à petit, on assiste à l'émancipation d'une femme qui va briser ses chaînes, on croit lire un message roublard, volontairement confus, comme s'il essayait de perdre le spectateur. Il faut un sacré talent pour s'éparpiller ainsi tout en donnant l'impression d'aller quelque part. L'angoisse faiblit peu à peu, tout simplement parce qu'Angel n'essaie plus de faire peur. Puis vient la fin, qui chamboule les maigres certitudes que l'on croyait avoir acquis. « Propriété interdite » semble véhiculer plusieurs thèses, sur l'égalité des sexes, sur la tolérance envers l'étranger, sur l'angoisse de la norme, on devine un sens sociologique, politique et psychologique qui refuse de s'offrir pleinement au spectateur en préférant se dissimuler derrières les oripeaux de l'angoisse, du drame ou même de l'horreur. Tout cela se termine trop tôt, laissant beaucoup de points d'interrogation, mais aussi l'agréable sentiment d'avoir vu un film fantastique rigoureux, imaginatif et efficace qui sort des sentiers battus. Pour le cataloguer, il faudra repasser ; pour le comprendre, il faudra le revoir ; pour l'apprécier, il suffit de se laisser porter par ces images troublantes, ces sons angoissants et ces apparitions furtives qui tutoient des peurs tellement enfouies qu'on ne sait pas d'où elles viennent. Ambitieux, culotté, troublant et amusant.
boulingrin87
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le 14 mai 2013

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Seb C.

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