• Cette critique révèle des éléments clé de l'intrigue *


Bienvenue à Saint-Chamond. Ou plutôt, « Saint-Ch’mon » comme le prononcent les acteurs avec zèle, histoire de faire « accent du Forez ». Bref, bienvenue dans cette sous-préfecture de la Loire avec son bar PMU, ses braves gens qui savent s’entraider et ses supporteurs de l’AS Saint-Etienne toujours prêts à mettre une branlée au PSG. La moitié des personnages sont au chômage et ils s’appellent Samantha, Dylan ou Kim quand ils ne se surnomment pas Valou ou Pépin. Si le Loto sportif permettait de miser sur des clichés, le film serait millionnaire (et sans avance sur recettes). On est un brin de mauvaise foi, on le reconnaît. Mais si le film se limitait à ça, il ne serait qu’une médiocre comédie française de plus.


Tract de la « manif pour tous »


Or, Charlotte de Turckheim veut nous parler d’un sujet dans l’air du temps : la GPA. Oui, la GPA comme « gestation pour autrui » ; le recours aux mères porteuses, si vous préférez. On ignore si le fait que ce thème soit absent de la bande-annonce s’explique par une volonté de préserver la surprise ou par le souhait de ne pas braquer le public « manif pour tous » avant qu’il ne paie son ticket, mais, en tous cas, cette question occupe une part importante du film. Aucun sujet ne doit être tabou au cinéma, mais la GPA, que l’on soit pour, contre ou que l’on s’en fiche, en est un qui est bien trop complexe pour être traité de manière aussi badine et avec autant d’approximations.


Un couple gay veut passer un marché avec Samantha. Paul et Gordon s’aiment. Le premier est un avocat français, le second est un avocat britannique, et tous deux vivent à Londres. Et ils font le trajet depuis l’Angleterre, jusqu’à Saint-Chamond, afin de demander à Samantha de bien vouloir porter leur enfant en échange de 200.000 euros.


Tout ce trajet vaut bien la peine : Gordon aime « tout ce qui est français » et a hâte d’avoir un enfant « made in France ». Chaque réplique de Gordon pourrait se retrouver sur un tract de la manif pour tous qui chercherait à montrer que la GPA instrumentalise le corps de la femme au profit de couples capricieux, prêts à choisir leur bébé sur catalogue. Il faut les comprendre Gordon et Paul, ils ont déjà tenté le coup avec une Ukrainienne qui est finalement partie avec l’enfant et l’argent. Alors qu’on peut avoir confiance en la bonne française qui a à tout prix besoin de cet argent pour pouvoir conserver la garde de sa petite soeur Kim, qui est très malade sans qu’on comprenne bien de quoi elle souffre (elle se trimballe en permanence avec un casque anti-bruit et regarde le Télé achat sans le son, drôle de syndrome).


« Tantes » et « faces de pamplemousse »


Le scénario ne dit pas que Gordon et Paul ont largement les moyens de recourir à la GPA dans un pays où la démarche est légale. Les Etats-Unis, par exemple. Ou le Royaume-Uni. Eh oui, le pays de résidence du « couple inattendu » autorise les mères porteuses depuis 1985, à condition de répondre à de strictes conditions, dont l’absence de transaction financière. Autrement dit, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Parce que cela priverait sans doute Qui c’est les plus forts ? de ses meilleurs saillies homophobes. Par exemple, lorsque la générosité du couple homo est comparée à celle « de l’oncle d’Amérique », on ne s’empêchera pas de rigoler en disant qu’il faudrait plutôt parler de « tante ». Bon, remarquez, il y a peu d’asiatiques dans le film mais les dialogues nous infligent quand même des « faces de pamplemousse » au sujet des Coréens (encore un bon mot de ce Dylan très sympa mais très con, mais il répare la chaudière) ou un « maharadjah » teinté de mépris à l’égard d’un grand patron indien.


On peut rire de tout à partir du moment où c’est bien fait. Et on peut préférer « rire avec quelqu’un » plutôt que « rire de quelqu’un ». Il y a une nuance. Le pire reste que l’équipe du film aura sans doute l’impression d’avoir participé à la réalisation d’une oeuvre progressiste, qui parle du monde comme il va et qui fera changer les mentalités. Si c’était ça l’objectif, il est raté. Comme le but avorté à cause des poteaux carrés, ce soir de mai 1976, en finale de la Coupe d’Europe des clubs champions. Saint-Etienne se retrouvait privé de trophée. Avec Qui c’est les plus forts ?, il y a aussi plus d’une raison d’être en colère. D’être vert. De rage.


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Giallover
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le 8 juin 2015

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