Le film de Spielberg aborde une question fascinante, la réalité virtuelle qui nous envahit peu à peu et finira sans doute par supplanter la réalité elle-même.


À 71 ans, le réalisateur est un habitué de la SF : AI, abordait l'intelligence artificielle, Minority Report, la justice prédictive, Rencontres du troisième type interrogeait quant à lui l'altérité et la communication. Il sait aussi faire de la SF plus récréative comme La guerre des mondes, très sombre ou E.T., très optimiste. Il a été aussi l'ami de Georges Lucas et de son Star Wars et l'instigateur d'un fameux jeu vidéo The Dig dans les années 90, un des premiers cinéastes à créer le pont avec le jeu vidéo à l'époque.


Mais c'est aussi le roi du divertissement. Spielberg est un enfant dans un corps d'adulte, que ce soit Jurassic Park, Les dents de la mer, Indiana Jones et même Tintin, sans oublier les biopics, les films politiques et historiques comme La Liste de Schindler et j'en passe. Il a toujours été à la pointe technologiquement, faisant avancer le blockbuster à pas de géants. La volonté est la même ici.


Spielberg est un touche à tout, un touche à tout de génie et Ready Player One syncrétise l'ensemble de son œuvre, presque un testament. C'est d'ailleurs une histoire d'héritage.


Mais, dans tous les domaines où habituellement Spielberg excelle, je trouve que le film fait fade. Les enjeux scénaristiques sont faibles, les personnages caricaturaux, l'univers est truffé de CGI jusqu'à l'étouffement - même s'il est extrêmement appliqué et détaillé - et le monde dépeint est survolé.


Voulu comme un film synthèse, le long métrage ne manque pas d'ambition, à commencer par son sujet, la réalité augmentée. Qui de mieux après ce que je viens de dire que Spielberg pour s'y intéresser ? La question est fondamentale. Nous vivons toujours plus dans une réalité augmentée puisque l'homme est lui même augmenté. C'est arrivé avec le Walkman, musique sur la tête, en marchant, le monde s'est transformé. Puis le cinéma est devenu plus immersif et enfin le jeu vidéo a permis d'être le héros de sa propre histoire virtuelle. Le jeu vidéo ne cesse d'ailleurs d'approcher le réel et de le dépasser : les casques VR en tête, les Kinect, détecteurs de mouvements, les jeux-univers comme World of Warcraft, Minecraft - présent dans le film, et dont le film s'inspire très largement, sont autant d'éléments qui nous conduisent à cette réalité augmentée, qui va de paire avec un homme digitalisée ( montre connectée, casques, détecteurs...). C'est le transhumanisme. Nouvelle étape : Pokemon GO, univers parallèle au nôtre. On se promène téléphone à la main, scrutant une carte calquée sur notre monde mais où l'on capture des petits monstres. La géographie et la perception de l'espace en sont modifiées. Le réalisme des jeux en réalité augmentée, couplé au procédural, est en train d'amener vers ce que le film nous montre.


Mais voila, cette immense question de fond trouve une réponse enfantine - et donc décevante - dans les yeux de Spielberg : la réalité c'est mieux. Sans blague. Rarement les personnages du film ne se trouvent aliénés par l'irréalité de leur jeu. Le jeu est une "oasis" de plaisir sans aucune limite. La question de la réalité est bien mieux traitée selon moi dans Blade Runner 2049 qui aborde cette question - et se passe d'ailleurs à la même époque. L'aspect dystopique du film de Spielberg fait pâle figure par rapport à d'autres classiques de la SF ; ici le contexte est évacué, c'est du divertissement pur, bien loin de Minority Report. Le jeu dépasse la réalité car la réalité dans le film est triste, maussade : un gamin pauvre, orphelin, dans un monde gris.


Le monde de l'Oasis, ce fameux jeu vidéo du film, semble infini et foisonnant mais on le voit défiler bien vite pour des scènes d'actions et de batailles spectaculaires mais pas extrêmement grisantes et pour cause, elles débordent de détails jusqu'à la nausée. L'esthétique n'est pas fabuleuse. On imaginerait un monde virtuel plus onirique que celui présenté à l'écran.Où est la poésie qu'on retrouvait parfois dans les films du réalisateur ? Parmi les séquences superbes, la course d'automobiles, impressionnante dans la réalisation, caméra virtuose, la scène de Shining, extrêmement fidèle et forte. La réalisation est impeccable d'ailleurs : la caméra bouge partout, dans le monde virtuel comme dans le monde réel. Plus encore, elle souligne des aspects : le monde réel est resseré, étroit, l'Oasis est immense, libre. Le jeu vidéo parait bien meilleur que le monde réel - ce qui est pourtant peu probable, les univers virtuels étant souvent remplis de trolls, pervers et intérêts commerciaux. Autre idée de mise en scène intéressante, au début, on passe de maison en maison, observant les habitants, tous connectés, tous dans le monde virtuel. Constat alarmant. L'univers s'appuie les années 80, et joue sur la corde nostalgique, jusqu'aux clichés. Le souci est un peu là : en appuyant sur cette corde, on satisfait le spectateur mais on n'invente pas grand chose. Le souci, pour ma part, pas mal de références m'échappent, n'étant pas un geek véritable.


Le film rend hommage au jeu vidéo, à l'héritage, en étant un immense easter egg : les références geeks sont légions, il cite bon nombre de titres, mais aussi des films, des musiques, des séries. Un peu trop de références, souvent survolées. C'est un peu Retour vers le futur, sans le doc - quoi que, le créateur du jeu, à la longue chevelure blanche, lui ressemble un peu. La référence la plus appuyée - et la plus intéressante - est celle faite à The Shining de Kubrick. Elle éclaire mieux les intentions du réalisateur. Une longue et superbe séquence se déroule dans l'hôtel du film, la parodie, lui rend hommage. Le film fait aussi son hommage au cinéma et Kubrick, grand maître de l'illusion, dans un film où la réalité est floue et où les détails abondent, arrive à point nommer. Le film aurait pu, du aller vers là, vers des films encastrés dans un film.


Spielberg porte un héritage, celui des autres et le sien. Ce n'est pas par hasard si son film se passe à Columbus, dans l'Ohio, sa ville de naissance. C'est un peu son œuvre testamentaire ici, la somme de tout ce qui le constitue depuis les origines. Cinéma et jeu vidéo tendent à se confondre toujours plus et il en anticipe la fusion. C'est bien un retour vers le futur. Il va même jusqu'à s'autociter en montrant son légendaire T-Rex à l'écran. Je ne serais pas étonner de trouver d'autres références à son œuvre... Mais y a tellement de références dans ce film qu'il serait difficile d'en faire la liste... Cette abondance de madeleines de Proust maintient l'intérêt du spectateur, mais est-ce que derrière il y a quelque chose ?


Les effets spéciaux aussi me gênent. Il y a tant de virtuel qu'on finit par ne plus y croire, ce qui est étrange vu que le film montre à quel point la réalité est triste par rapport au jeu. Or, le jeu ne me donne au fond que peu envie. C'est très bien fait mais ça va si vite... et l'univers ne coupe pas le souffle comme dans Avatar par exemple.


Le problème du film vient aussi de ses personnages. Le personnage principal, Parfisal, référence à la mythologie européenne - autre couche de référence dans le film - est sans charisme. Il est un énième orphelin pauvre et malheureux. Un archétype. Ce n'est pas absurde, c'est un personnage lisse, idéal pour un jeu vidéo, identification m'oblige, mais quand il revient dans la réalité, il est le même. C'est assez problématique. La romance est niaise, sans être catastrophique. C'est plaisant mais facile. Les méchants sont très méchants et ce sans raison autre que l'argent. Loin là aussi de AI et son interrogation sur la technologie et l'argent. Les personnages ne marquent pas les esprits comme dans d'autres films du réalisateur. L'humour, joue de cette histoire premier degré et permet de passer la pilule. C'est devenu une facilité pour faire avaler toutes les couleuvres scénaristiques - dédicace aux Derniers Jedis. Les personnages sont encore des enfants - ou des adolescents - c'est un thème cher à Spielberg mais si l'identification opère, elle est parfois gâchée par la surabondance de références.


Le film est un divertissement très efficace, cohérent, sans temps mort, mais il ne m'a pas marqué outre mesure. Il ne commet pas de fausse route, c'est déjà ça ! Sa thématique, innovante, me fascine, mais Spielberg s'amuse, il joue, comme son nom en allemand (Spiel) l'indique. À croire qu'il était prédestiné pour divertir.


Le film a un certain panache et de la fraîcheur, c'est du neuf fait avec du vieux, mais cela ne peut totalement masquer une certaine vacuité. Néanmoins, au fond, n'est-ce pas une mise en abime de la virtualité que le film aborde ? À l'image de l'Oasis, une très belle coquille vide ? Et plus encore n'est-ce pas une interrogation sur les illusions au cinéma d'où les hommages au septième art qui ponctuent le film ? C'est une machine à rêve, une industrie, un business, Spielberg, intelligemment, ne l'oublie pas et nous l'illustre. Mais ce qu'on retient du film c'est un divertissement efficace, à coup de nostalgie, à l'image de la dolorean de Retour vers le futur qui est présente souvent dans le film, madeleine de Proust, réminiscence du souvenir. Plus qu'une réflexion profonde sur la réalité virtuelle, le film est une machine à rêve. Au fond, Spielberg est modeste devant tout l'héritage - dont le sien - qu'il porte avec ce film. Un grand auteur ne fait que brasser les mêmes thèmes, les mêmes obsessions, les mêmes références. Spielberg est un grand auteur et surtout un grand joueur. A voir si ce film entrera dans les classiques qui ont fait sa légende.


Le film en tout cas marquera parce qu'il associe jeux vidéo et cinéma, donne au jeu une noblesse, il était temps, après toutes les adaptations fadasses de jeux vidéo en film même les films d'aventure assez pauvres des dernières années. Les geeks seront comblés, les grands enfants aussi. Tout est centré sur la nostalgie. Sur le "c'était mieux avant", cruel aveu d'une époque sans panache. Manquent l'émotion et la profondeur, un petit supplément d'âme que je n'ai pas retrouvé chez Spielberg. Puisse le futur me contredire.

Tom_Ab
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le 31 mars 2018

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