Poème Tu n'en reviendras pas, issu de "La Guerre qui s'ensuivit" de Louis Aragon (1897-1982)


Tu n’en reviendras pas toi qui courais les filles
Jeune homme dont j’ai vu battre le cœur à nu
Quand j’ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n’en reviendras pas vieux joueur de manille


Le jeune protagoniste fut suivi par plusieurs psychologues durant le tournage ; le récit raconté dans ce film a été vécu par son réalisateur lui-même ; les Américains eux-mêmes redoutaient ce film pour son réalisme extrême. "Requiem pour un massacre" est sans pitié. Si vous aviez de l'innocence avant de voir ce film, celui-ci sera son requiem.


Qu’un obus a coupé par le travers en deux
Pour une fois qu’il avait un jeu du tonnerre
Et toi le tatoué l’ancien légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage sans yeux


Qu'est-ce qu'une vie, qu'est-ce qu'une guerre, qu'est-ce qu'un entourage ?


On part Dieu sait pour où ça tient du mauvais rêve
On glissera le long de la ligne de feu
Quelque part ça commence à n’être plus du jeu
Les bonshommes là-bas attendent la relève


Des séquences au fer rouge, des images qui hantent à vie, et une mise en scène cauchemardesque, accentués par un Sound-Design oppressant. Boueux. Tactile. Palpable. Vous saurez ce qu'est la vraie guerre. Ce seras pas "1917".


Roule au loin roule train des dernières lueurs
Les soldats assoupis que ta danse secouent
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac l’haleine la sueur


Les yeux seront tués dans la saleté. La femme ne sera pas là pour sauver l'homme. L'adolescent, livré à ses illusions perdues, se prend l'Histoire en plein fouet. Cette cabane... Cette cabane... Rudesse russe...


Comment vous regarder sans voir vos destinées
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées


Et cette fin...


"La séquence finale du film se présente comme un épilogue, et ce même dans le chapitrage du DVD. Ainsi, comme dans l’art littéraire, il est censé annoncer ou décrire la destinée de ses personnages. Pour « Requiem pour un massacre », la séquence nominée ainsi suit le « procès » du massacre. D’un point de vue maquillage, Fiora est au stade ultime, près de la folie. Au lieu de rejoindre les autres, il fixe le portrait d’Hitler trainant dans la boue, portrait vu précédemment porté par un des Nazis avant le carnage. Il commence à tirer sur sa tête, faisant apparaitre à la place de sa figure une trace d’eau crasseuse. Il tire sur le portrait 10 fois, soit le nombre d’années depuis qu’Hitler est au pouvoir dans le contexte diégétique du film (1943). Entre ces intervalles, la monteuse Valeria Belova construit un montage alterné frénétique, où le spectateur comme le protagoniste remontent les archives historiques sur la Seconde Guerre Mondiale en vitesse accélérée. Je voudrais mettre le doigt sur le fait que des évènements comme l’attaque sur le Pearl Harbor ou l’Occupation française sont montrés. Or, dans le cinéma Soviétique, qui tendait depuis les années 20 à faire valoriser son cinéma national, en outre justement pour ne pas avoir à utiliser des évocations étrangères et troubles sur cette période, les films centrés sur le présent Russe étaient omnipotents. Ainsi, même après la Déstalinisation de 1956, il était difficile de parler, dans le cinéma national, des évènements hors-frontières de la Guerre, surtout concernant les Etats-Unis puisqu’en période de Guerre Froide. D’ailleurs, le projet de « Requiem… » a été uniquement relancé à l’occasion de l’anniversaire des 40 ans de la victoire Soviétique… D’après le livre « Les
Révolutions Russes au cinéma » d’Alexandre Spumf, dès 1919,




« comme pour la nationalisation du reste de l'industrie, (…) il ne
reste plus grand-chose à confisquer, et plus grand monde à
enrégimenter. (…) Le retard technologique (projecteurs, sonorisation),
une production trop faible pour contenter l'appétit des spectateurs,
réduit qui plus est par les décisions de censure très coûteuses… En un
mot, l'industrie du cinéma soviétique n'est ni très prolifique, ni
composée uniquement de chefs-d'œuvre, ni, surtout, louable. Ou, même
en URSS, l'argent constitue le nerf de la guerre sur le front
esthétique et idéologique »
.




La présence de ces évènements au sein du montage affirme donc une dénonciation de l’horreur qui s’étend au-delà des Biélorusses contre les Nazis, et concernent tout aussi bien leurs alliés, même lorsque ceux-ci s’en prennent aux ennemis principaux de l’URSS d’alors. Mais le plus intéressant reste l’idée même du procédé. Lorsque Flora arrête de tirer sur le visage d’Hitler après l’avoir visualisé enfant, sur fond du « Lacrimosa » de Mozart extrait de son Requiem, il est davantage anéanti de savoir qu’il aurait pu être cet homme, puisqu’ayant été un enfant à la vie précieuse lui aussi. Le Requiem résonne pour signifier que l’enfant en lui est mort en même temps que cette population dans la cabane. Le cinéaste interroge ainsi directement sa décennie des années 80, toujours sous l’égide d’une Guerre Froide relancée. La question n’est plus de savoir de quel camp nous sommes, mais si nous valons mieux que le camp adverse. Philosophiquement, si Flora ne tire pas, c’est parce que la question vient au personnage, et que le réalisateur y répond avec le Requiem. Durant ce 20ème siècle où la notion de guerre a pris une proportion inédite, et paradoxalement a enfantée de la première génération à ne pas connaitre un Occident en guerre civile, Klimov insinue le choix qui peut être étrangement possible pour le soldat : sombrer dans la même fange que celle qu’il combat en retour d’un soulagement, ou se retirer avec ses traumatismes. Du point de vue psychologique, la situation est clairement sans issue, à aucun moment le doute n’est autorisé à ce sujet. Toute cette fin est donc une métaphore de la position mémorielle du monde vis-à-vis des évènements irréparables, pas seulement de la deuxième Guerre Mondiale, mais bien du siècle entier en lui-même et de toutes ses tensions politiques, aussi vaines que les balles fusant sur un portrait déjà trainé dans la boue. Flora en prend conscience lorsqu’il doit « tirer » sur l’enfant Adolf, parce qu’outre l’identification de leurs origines innocentes, il y a également un sentiment de contemplation sur ce qu’aurait dû être le 20ème siècle. A ses débuts, entre les progrès fulgurants en médecine, mécanique ou dans l’Art (notamment, justement, l’expansion de l’industrie cinématographique), il aurait dû être le siècle ouvert à un temps nouveau, rebâti sur des équilibres politiques plus stables tels que lancés et des inventions au profit de l’individu. Mais le 20ème siècle, qui aurait pu être l’enfant prodigue, deviendra le Hitler de l’humanité, engendrant un temps nouveau certes mais fondé sur des instabilités politiques croissantes, au niveau mondial, engendrant des inventions menaçantes en permanence telle la bombe atomique. Si Flora ne tire pas sur le Hitler enfant, c’est aussi pour ne pas s’assimiler à une illusion, qui l’habitait justement au début du film, quant aux retombées du 20ème siècle. Elles ne seront en rien glorieuses, Hitler a été élu démocratiquement, le Mal est fait. Les espoirs du 20ème siècle sont morts, comme l’enfant Flora. Le Requiem de Mozart, Autrichien comme le prince tué ayant déclenché la Première Guerre Mondiale, Autrichien comme Hitler, romanise cette mort même de l’espoir d’une époque plus meurtrière que progressiste, auquel le jeune protagoniste refuse finalement de participer."


Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit
Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri


Un Chef d'Oeuvre. Le plus grand film de guerre concret de tous les temps. A voir absolument.

Billy98
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le 10 févr. 2021

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Billy98

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