La première interrogation que l’on se pose à la vue de Rescue Dawn est la suivante : pourquoi transposer l’histoire d’un aviateur rescapé de sa captivité au Vietnam, histoire déjà racontée dans l’excellent documentaire Little Dieter Needs to Fly (1997), en un survival fictionnel ? Raisons budgétaires, selon le cinéaste. Autre chose aussi. C’est qu’entre-temps, Dieter Dengler a quitté le monde des vivants et, ce faisant, a accédé au statut de héros à part entière – le héros ne peut qu’être absent de la réalité, sa nature est essentiellement fictive, prise en charge par un récit légendaire dont il devient le personnage principal.
Et le cinéaste se plaît à entremêler les genres : là où son documentaire revendiquait une liberté avec le passé reconstruit de l’aviateur, notamment lors des séquences oniriques, son œuvre de fiction adopte une esthétique similaire à celle du documentaire. Nous suivons les acteurs comme s’il s’agissait de vraies personnes parfois affranchies d’un cadre qui les cherche davantage qu’il ne les enferme – pensons à l’entrée de Dieter prisonnier dans le camp ennemi, que la caméra capte avec distance puis qu’elle évacue au profit d’un plan sur une famille venue assister à l’humiliation.
Après une première demi-heure plutôt tiède durant laquelle Herzog emprunte passages obligés et clichés lourdement traités, nous percevons le cœur battant de l’œuvre : représenter la détermination d’un individu à survivre et à échapper à la folie ambiante, mieux à suivre sa folie propre qui le rend si souvent hilare et insolent à l’égard de ses bourreaux – une folie qui le raccorde à son destin, celui de voler. Nous retrouvons l’importance de la marche à pied pour s’ouvrir au monde, croyance que répète Herzog depuis ses débuts et que cristallise magnifiquement son livre Vom Gehen im Eis (1978) ; car les épreuves endurées par Drengler font de lui un martyre, une icône dont la contemplation nous élève, nous spectateurs, à la vérité.
Voilà ce que disait le cinéaste au micro de France Culture le 25 août 2020 : « Les faits ne font pas la vérité ; grâce à l’imagination, à la poésie et l’invention, il est possible d’atteindre l’extase […], un accès profond à la vérité » (Werner Herzog : « Le XXIe siècle sera le siècle de la grande solitude »). Rescue Dawn constitue donc le second volet d’un diptyque passionnant sur un homme passé, grâce à sa fictionnalisation, du statut de témoin à celui de héros.