Rue de l’Estrapade, un petit coin d’paradis où une jeune femme éplorée cherche à guérir ses peines de cœur, et s’encanailler avec quelques larrons en foire, avec le doux espoir de remettre à flot le navire tanguant de ses déceptions amoureuses.


Réalisé entre son chef d’œuvre Casque d’or et son excellent polar Touchez Pas Au Grisbi, Rue de l’Estrapade donne l’occasion au grand Jacques Becker, ce métronome du cinéma hexagonal, de venir s’essayer à la comédie de mœurs à la Leo McCarey en mode titi parisien.


La première constatation qui m’est venue à l’esprit, c’est qu’il était un excellent directeur d’interprètes, mettant l’intégralité de son casting au service d’une mise en scène fluide et vivifiante qui sait utiliser les astuces d’un scénario d’apparat conventionnel - une peine de cœur, une fuite en avant sous forme d’émancipation féminine – pour mieux en détourner les conventions rétrogrades à la manière des grands spécialistes américains du genre.


D’un casting composé de Louis Jourdan, en mari volage, de la pétillante et trop rare Anne Vernon dans le rôle de la jeune femme trompée, avec une gouaille et une grande tonicité ne l’empêchant nullement de remarquablement imposer un personnage sensible vers qui notre empathie va immédiatement, et d’un jeune et fringuant Daniel Gélin, en chanteur bohème dragueur et un rien perspicace, Becker parvient à mener sa petite troupe avec toute l’ingéniosité qui caractérisait sa mise en scène et dans absolument tous les genres ou styles qu’il a pu adopter dans une filmographie caractérisée par un éclectisme à toute épreuve.


En touche à tout de génie, il traite la comédie de mœurs avec les mêmes attributs qui on fait la force de ses polars jusqu’à son chef d’œuvre ultime, qui demeure à mes yeux le plus grand film de l’histoire du cinéma français, en l’occurrence le remarquable Le Trou. Énergie et fluidité des mouvements, avec des pauses d’esthète gracieuses, au service d’une mise en scène qui sans exagérer les traits fait naturellement naître les émotions.


Traitée avec une grande vivacité et une liberté de ton que l’on peut aisément qualifiée d’audacieuse, cette comédie de mœurs manifestement sous influence américaine réussit le pari de la critique acerbe et pointue sur les rapports amoureux et la condition de la femme tendant vers la notion d’émancipation. Nous sommes alors en 1953.

philippequevillart
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le 1 mai 2020

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