Delépine et Kervern font parti de ces cinéastes ovnis du cinéma français, inclassables, avec un style marqué, mais qui se sont au fil des années forgés un solide public fidèle. À la manière d’un Quentin Dupieux, ils ont un ton unique et parsèment leurs films de choix esthétiques et narratifs forts comme l’usage d’une caméra volontairement de mauvaise qualité dans Near Death Experience ou encore le fait d’utiliser de la pellicule abîmée, retrouvée au fond d’un stock pour Mammuth. Tous les deux venant du Groland, célèbre émission de Canal Plus connue pour son goût du trash, ils revendiquent dès cette époque la volonté de mettre en avant les gens qu’on ne montre pas ou qu’on rabaisse au cinéma. Les paysans du fin fond de la brousse ou de manière générale des gens qui n’ont pas l’éducation et le sens du savoir vivre qu’on estime de bon goût. À ma connaissance, peu de gens savent comme ces deux réalisateurs les magnifier avec un regard sincèrement tendre et poétique. En ce sens, Saint Amour est un film très engagé et il suffit d’entendre le discours du personnage de Gérard Depardieu à la fin du film pour saisir l’essence de leurs message.
Dans tous ces choix, Saint Amour déborde, justement, d’un amour sincère pour ses personnages mais aussi pour la France que l’on ne montre pas, celle que la plupart des œuvres moquent ou caricaturent. Ici, l’honnêteté imprime la pellicule à chaque seconde et ce grâce à plusieurs choix, comme par exemple la variété des décors traversés qui sont montrés tel quel. Oui parfois un entrepôt coupe un paysage de manière disgracieuse, parfois le temps est mauvais ou encore parfois une carcasse de voiture traîne au hasard mais ce n’est pas grave. On ressent l’authenticité de ce qu’on traverse de telle manière que la caméra réussi à créer une forme de poésie et de beauté là où on ne l’attend pas. De même les protagonistes sonnent tous vrais avec des acteurs qui fusionnent avec leurs personnages et il n'est pas étonnant de lire que souvent les scènes d’ivresse se faisaient en condition réel. Ce rapprochement avec les personnages passe aussi par la récurrence des gros plans sur les visages marqués par la vie et l’expérience comme celui de Céline Salette, divine, ou encore des dialogues qui sonnent naturel avec des bafouillements ou des hésitations qui comme ça semble être quelque chose d’anodin mais qui apporte un vrai plus au film. Dans ce même désir de faire vrai, les scènes au salon de l’agriculture ont vraiment été tournées là-bas, où les réalisateur ont lâché Depardieu et Poelvoorde au milieu des visiteurs obligeant à suspendre le tournage à chaque fois que la foule s’amassait autour d'eux. Le film peut aussi compter sur des "guest" aussi fugaces que marquants comme Michel Houellebecq en propriétaire d’une maison d’hôte, ces apparitions créent une galerie de personnages avec une identité marquée qui participe à cette poésie décalée. On pourra aussi noter la partition géniale de Sébastien Tellier qui accompagne la progression des héros. Au premier abord cette mélodie au piano et au violon parfois accompagnée d'une voix presque opératique semble en total décalage mais elle apporte un lyrisme supplémentaire à ce road-trip campagnard.
Au final mieux vaut ne pas en savoir trop avant d’aller voir le film pour se laisser surprendre par les rencontres et les situations que déroule le métrage au long du voyage de nos héros mais encore une fois Delépine et Kervern ont su déployer un univers qui leur est propre tout en le faisant muter. Le film est en effet plus tendre que leurs dernières œuvres, plus optimiste peut être avec une note finale aussi singulière que belle car en définitive le film porte bien son nom et parle d'amour, de la recherche de celui ci, de sa perte ou de son absence et comment il peut s'épanouir dans des formes imprévues et hors cadre. Allez voir Saint Amour sans modération pour voir des personnages beaux comme on en voit pas assez au cinéma et parce que la France agricole ce n’est pas que des tracteurs qui manifestent et L’Amour est dans le Pré.